Bonjour Jade-Florance!

Merci de nous réécrire. Tes questions sont très intéressante et je vais faire de mon mieux pour y répondre.

Tu dis que tu es en questionnement sur ton identité, mais que tu es sûr.e d’être hétéroromantique. Tu te demandes si la fluidité de genre pourrait expliquer ce que tu ressens, notamment par rapport aux pressions que tu ressens de la part de la société pour t’imposer plusieurs normes liées au genre et au sexe assigné à la naissance. Tu te demandes aussi si être genderfluid doit venir avec une abolition des préjugés liés au genre et aux sexe assigné à la naissance. Finalement, tu te poses des questions sur le lien entre la fluidité de genre et les attirances.

Voyons d’abord ce que signifie être genderfluid, ou, en français, fluide dans le genre. On décrit généralement la fluidité dans le genre comme le fait d’avoir une identité de genre qui évolue dans le temps. Une personne fluide dans le genre peut donc avoir une identité qui fluctue entre plusieurs genres, comme femme, agenre, neutre, homme, etc. Une personne fluide dans le genre peut aussi attribuer différentes significations à son (ou ses) genres selon le moment, ou voir son identité de genre influencer d’autres sphères de son identité, comme son orientation sexuelle (comme c’est le cas de la personne qui nous a envoyé cette question).

C’est important de comprendre que le terme genderfluid, comme toutes les autres identités de genre, peut vouloir dire différentes choses pour différentes personnes. Toutes les femmes n’ont pas la même vision de ce qu’est être une femme, et de même pour les hommes, alors ça n’a pas de raison d’être différent pour les personnes non-binaires et fluides dans le genre.

D’ailleurs, voyons ce que veut dire non-binaire. Une personne non-binaire est une personne qui ne s’identifie pas exclusivement en tant qu’homme ou en tant que femme. Ce n’a donc pas de lien avec l’orientation sexuelle ou les attirances d’une personne, mais avec son identité de genre, soit le sentiment intime d’appartenir à un ou plusieurs (ou aucun!) de ceux-ci. Une personne non-binaire peut être fluide dans le genre ou non, cela dépend si elle perçoit que son genre est fixe ou non. Par exemple, moi je suis non-binaire, mais je ne m’identifie pas comme genderfluid, car mon genre est toujours le même. À l’inverse, les personnes fluides dans le genre se considèrent généralement comme non-binaires, car lorsque notre genre fluctue, cela veut généralement dire qu’il n’est pas exclusivement féminin ou masculin.

Allons-y pour une métaphore de crème glacée. Imaginons que les genres sont des saveurs de crème glacée et que l’identité de genre d’une personne correspond à sa saveur préférée de crème glacée. Les saveurs les plus populaires et largement disponibles sont sans contredit vanille et chocolat. Disons donc que les genres homme et femme sont vanille et chocolat. Les genres non-binaires, dans le cadre de cette métaphore, seraient toutes les autres saveurs: fraise, menthe, gomme balloune, bacon, vinaigre balsamique… Une personne genderfluid aurait donc une saveur de crème glacée préférée qui fluctue selon le moment, le stade de sa vie, les émotions qu’elle ressent, les relations qu’elle a avec les autres, ou tout autre facteur qui influence son identité de genre.

Voici une infographie qui pourrait aussi t’aider à comprendre les différentes identités non-binaires et la fluidité de genre:

Avec ces définitions de la fluidité dans le genre, est-ce que ça semble correspondre à ce que tu vis? Comment vis-tu ton genre, as-tu l’impression qu’il est en mouvement, qu’il est difficile à saisir et à nommer ou qu’il semble toujours être en évolution?

Tu te demandes aussi si être genderfluid veut dire qu’on doit abattre tous les préjugés sur les rôles genrés. J’aimerais te citer ici une autre réponse que j’ai donnée à ce sujet, à une personne qui se posait presque la même question que toi. Elle se posait la question par rapport à la non-binarité, alors j’ai ajouté entre parenthèses le terme genderfluid lorsque ça s’applique:

Comme tu vois sur cette image, non-binaire est un terme parapluie qui regroupe toutes les identités de genre qui ne sont pas exclusivement homme ou femme. L’existence de la non-binarité (et de la fluidité de genre) ne remet pas en question l’existence des genres homme et femme, il s’agit simplement d’un concept exprimant que les autres genres, comme neutrois, agenre, bigenre, pangenre, genderfluid, etc. sont tout aussi légitimes, naturels et importants! Bien que non-binaire (et genderfluid) soit un terme relativement récent, des personnes qui ne sont ni des hommes ni des femmes ont existé dans toutes les sociétés et dans toutes les époques. Si tu désires en apprendre plus à ce sujet, je te conseille fortement le livre Transgender Warrios par Leslie Freinberg.

Les personnes non-binaires (et genderfluid) sont particulièrement affectées par les stéréotypes et la binarité des genres, car ceux-ci les invisibilisent complètement. Ainsi, les personnes non-binaires (et genderfluid) ne sont presque jamais considérées, que ce soit dans les médias, les lois, la médecine et la recherche scientifique, l’éducation, la gouvernance, la langue… Il est donc parfaitement logique que la plupart des personnes non-binaires soient particulièrement intéressées à ce que les constructions sociales entourant le genre soient repensées pour les inclure, et qu’elles expriment plus de colère que d’autres face à la situation actuelle!

Par contre, il n’est pas nécessaire d’être non-binaire (ou fluide dans le genre) pour supporter un changement de paradigme. Les stéréotypes de genre affectent tout le monde : les hommes, les femmes et les personnes non-binaires. L’assignation d’un genre à la naissance en se basant sur les organes génitaux est nocive non seulement pour les personnes non-binaires, mais aussi pour les autres personnes trans et les personnes intersexes. Cette assignation et les règles strictes qui viennent avec ont aussi des impacts sur les hommes et les femmes cisgenres. Tou.te.s ont à gagner d’un monde où chaque personne pourrait vivre sans se soucier de répondre à des stéréotypes arbitraires qui accentuent les inégalités et les violences.

Être « contre notre système normatif binaire » (ou vouloir abattre les préjugés sur les rôles genrés), comme tu le dis, n’est donc pas quelque chose qui est réservé aux personnes non-binaires (ou genderfluid). La non-binarité (et la fluidité de genre), c’est d’abord et avant tout une question d’identité, il s’agit de la façon dont on se sent à l’intérieur. Tu dis que tu ne te « sens pas tout à fait homme mais pas femme non plus ». Voilà le seul prérequis pour être non-binaire!

En résumé, être genderfluid, ça a beaucoup plus à voir avec comment on se sent que comment on se présente et qu’on interagit avec le monde extérieur.

Finalement, tu te demandes si deux personnes genderfluid ayant des organes génitaux différent.e.s peuvent être attiré.e.s l’un.e par l’autre. Tout dépendra de ces personnes en particulier! En effet, les personnes genderfluid peuvent, comme les hommes, les femmes et les personnes non-binaires, avoir toute combinaison d’organes génitaux et d’orientation sexuelle. On peut avoir une vulve et être un homme gai, comme on peut avoir un pénis et être une personne genderfluid pansexuelle, ou bien avoir une vulve et un pénis et être une femme bisexuelle!

J’aime bien cet extrait de réponse de maon collègue Anaïs à la question Y a-t-il une manière d’exprimer son orientation sexuelle lorsqu’on est non-binaire?:

Premièrement, j’aimerais définir l’orientation avec toi. L’orientation correspond à l’attirance physique, sexuelle, affective ou romantique que l’on peut éprouver envers des personnes d’un ou plusieurs genres. L’homosexualité, la bisexualité, la pansexualité, l’hétérosexualité, l’asexualité sont des exemples d’orientations sexuelles. L’orientation sexuelle réfère aussi au sentiment d’identité personnelle et sociale basée sur ces attirances, les comportements pour les exprimer, et possiblement l’appartenance à une communauté de personnes qui les partagent.
Les personnes non-binaires ont toujours fait partie des différentes communautés LGBTQ+. Par exemple, certaines personnes non-binaires s’identifient en tant que lesbiennes puisqu’elles sont attirées par les femmes et ressentent une affinité avec cette « étiquette » et la communauté lesbienne. Certaines personnes vont quant à elles favoriser des identités comme queer qui peut faire référence à toute idée, pratique, personne ou identité allant à l’encontre des normes structurant le modèle social cisgenre et hétérosexuel. D’autres personnes non-binaires vont se dire bisexuelles, pansexuelles, homosexuelles, etc. dépendamment de leur affinité et de leur sentiment d’appartenance à cette communauté. Au final, les personnes non-binaires peuvent s’identifier comme elles le veulent !

Il n’y a donc pas de restriction à ce qui se peut, plusieurs combinaisons existent et peuvent mener à des relations heureuses, tant que toutes les personnes impliquées soient consententes!

Par exemple je suis une personne non-binaire en couple avec un homme bisexuel qui se définissait auparavant comme hétérosexuel. Bien que je sois principalement attiré par les hommes, je suis déjà tombé amoureux de femmes et de personnes non-binaires. J’ai un ami qui est un homme trans queer et qui est en couple avec une femme lesbienne, qu’il a rencontré avant de transitionner. Iels ont décidé de poursuivre leur relation même si leurs orientations sexuelles ne semblent pas nécessairement compatibles à première vue! Parfois, les réalités qu’on vit sont plus complexes que les étiquettes qu’on utilise pour décrire nos identités. L’important, c’est d’être confortable avec les mots qu’on utilise et les relations qu’on entretient avec les autres.

J’espère que ma réponse t’as donné quelques outils pour faire face à tes questionnements. Comme d’habitude, n’hésite surtout pas à nous réécrire si tu en ressens le besoin.

Je te souhaite bonne chance et bonne exploration!

Séré, intervenant pour AlterHéros