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14 juin 2020

Aie-je vraiment envie de transitionner? Est-ce que c'est juste une pression que je me mets tout seul ?

Bonjour,
je m’appelle Ysaäc, j’ai 19ans et je suis une personne Non binaire voulant transitionner. Cela fait un moment que je me pose des question sur mon genre. A une époque j’étais convaincu de vouloir transitionner vers le genre masculin. J’ai ensuite eu une grande période de déni et de doutes qui a basculé toute ma confiance sur ce sujet. Aujourd’hui cette confiance revient petit à petit mais j’ai peur. Peur de me tromper, de regretter, de n’avoir imaginez toute cette situation. Il y a peu je me suis enfin rendu compte de la grandeur et du poids qu’une transition engendre. Des opérations, des piqures, etc… Je ne sais pas si j’ai les épaules pour supporter tout cela, en plus du regard des autres. J’ai peur que cela ne soit qu’un frein à mes relations amoureuses. Mais je ne sais pas si je supporterai de vivre toute ma vie en me posant ces questions sans osé ne jamais essayer de transitionner physiquement. J’ai fais une transition sociale à une partie de ma famille, à mes amis et à mes profs mais ça ne me suffit pas, car dans le regard des autres et de la société je suis une femme. Je ne supporte plus les « Madame » dans la rue ou quand je rencontre quelqu’un que je ne connais pas. Mais j’ai peur de ne pas me reconnaître après une transition. Car je sais que mon corps me pose problème quand je vois réellement à quoi je ressemble en vrai, car c’est bizarre mais des fois je me vois réellement en tant que garçon. J’ai l’impression de me voir d’une façon beaucoup plus masculine que la réalité, donc les moments où je réalise que j’ai un corps et surtout un visage de femme, ça me fais vraiment bizarre, je ne sais pas comment traiter l’information. Je suis désolé je me perd un peu dans mes propos mais je me perds tellement dans cette situation. J’aimerai juste recommençais de 0 et être né dans le bon corps, pour ne pas à avoir tout ce chemin à parcourir. Je sais très bien que j’ai le temps de réfléchir, mais je ne supporte plus tous ces questionnement je ne sais plus quoi faire. Je suis tiraillé entre mes envies et mes peurs… Je ne sais juste plus quoi faire à propose de cette situation, que me conseillez vous? Est ce grave de se tromper? J’ai peur de me faire juger à cause de mes choix, de me décevoir et de décevoir les autres… AI-je vraiment envie de transitionner? Est-ce que ce ne serai tout simplement pas une pression que je me mets tout seul?

Merci d’avance pour votre réponse,
Ysaäc

Séré

Bonjour Ysaäc!

 

Merci de la confiance que tu accordes à AlterHéros. Je comprends que tu te poses plusieurs questions sur le fait de faire une transition médicale en tant que personne non-binaire. Je trouve en fait que tes questionnements ressemblent beaucoup à ceux que j’avais avant de commencer ma transition médicale, alors j’espère que mon cheminement pourra t’éclairer.

 

J’ai commencé la prise de testostérone à 19 ans, deux ans après avoir compris que j’étais non-binaire et commencé à en parler à mes proches. Mes ami.e.s et ma famille commençaient à me voir différemment et à utiliser le masculin et le pronom iel pour parler de moi, mais comme toi, je ne supportais plus du tout de me faire appeler madame par des inconnu.e.s et qu’on présume toujours que j’étais une femme. 

Tu dis que tu vois parfois en tant que garçon et que ça te fait bizarre quand tu réalises que ton corps et ton visage sont perçus comme féminins par la société. C’est bien ça? Je me reconnais beaucoup dans cela. Quand j’étais seul devant mon miroir, mon corps ne me dérangeait pas vraiment, et j’arrivais à me voir comme personne non-binaire masculine. C’est comme si j’étais la seule personne qui me voyait réellement. Personne d’autre ne semblait vraiment voir cet aspect de moi, et cela devenait très frustrant, car je devais sans cesse jongler avec le fait que ma perception de moi-même était complètement différente de celle des autres.

Je me disais que si je vivais sur une île déserte, je ne ressentirais probablement pas le besoin de changer mon corps. Alors je me disais que ce n’était pas un réel besoin et que je me mettais trop de pression pour correspondre aux standards de la société. Le problème, c’est que je ne vis pas sur une île déserte et toi non plus. Les choses seraient immensément différentes si on ne vivait pas dans une société qui genre absolument tout, mais malheureusement ce n’est pas le cas. Ce n’est pas de notre faute si on se fait mégenrer par des inconnu.e.s, mais ce n’est pas non plus absurde de vouloir entreprendre une transition médicale pour que ça cesse. Qu’en penses-tu? Est-ce que ça se rapproche de ce que tu veux dire quand tu te demandes si tu te mets trop de pression?

Dans mon cas, j’ai commencé à considérer la prise de testostérone. D’abord uniquement pour changer la perception des autres. Je me disais que si ma voix devenait grave, je me ferais appeler madame bien moins souvent. Puis, j’ai commencé à me dire que j’aimerais peut-être mieux mon corps si certains changements invisibles aux autres, comme l’hypertrophie du clitoris, survenaient. Toi, quels effets recherches-tu? Y a-t-il des effets que tu ne voudrais pas du tout? Ce qui m’a beaucoup aidé a été de faire une liste de pour, contre, et neutre avec chacun des effets de la testostérone. J’étais encore très indécis, mais il y avait plus de pour et de neutre que de contre, alors j’ai décidé de faire les démarches pour voir un endocrinologue.

Le jour de mon rendez-vous, j’étais encore perdu. Je savais que l’endocrinologue ne serait pas réceptif à cette indécision (ni à ma non-binarité, d’ailleurs), alors j’ai fait semblant que j’étais un homme trans sûr de ma décision de prendre des hormones. J’ai d’ailleurs écrit une réponse à ce sujet récemment, je crois qu’il serait utile pour toi de la lire. 

Lorsque j’ai obtenu ma prescription, je ne me sentais pas prêt à commencer la prise d’hormones. Il est possible de ne pas être sûr à 100 % même une fois que tu as eu tes rendez-vous avec les professionnel.le.s chargé.e.s de te prescrire tes hormones. Mais ce n’est pas parce que tu as ta prescription en main, ou même les hormones elles-mêmes que tu as besoin de commencer tout de suite! Par contre, puisque les délais dans le système de santé sont généralement longs, ça peut être une très bonne idée de commencer le processus même si tu n’es pas sûr. Comme ça, si et quand tu te sentiras prêt, tu n’auras pas à attendre des mois avant d’avoir accès à de la testostérone!

Pour dire la vérité, je ne me suis jamais senti prêt. Je trouvais que c’était impossible de savoir si la testostérone allait me convenir sans l’essayer. Ça se peut que tu te sentes comme ça jusqu’au bout, que tu ne te sentes jamais sûr à 100 % avant de l’avoir essayé. 

Il y a un mythe qui persiste encore, selon lequel l’exploration doit précéder la transition, c’est-à-dire qu’il faudrait être sûr de son genre et du parcours de transition que l’on veut avant de la commencer. C’est complètement faux et même risible, selon moins. La transition peut être un terrain d’exploration incroyable et cela implique d’essayer des choses en acceptant de se tromper ou de changer d’idée. C’est valable pour la transition sociale, par exemple lorsqu’on essaye différents prénoms pour trouver celui qui nous convient le mieux, tout comme pour la transition médicale. La perception que j’ai de mon genre est très loin de celle que j’avais quand j’ai fait mon coming-out comme personne non-binaire et je ne crois pas que j’aurais pu explorer mon identité de cette façon sans entreprendre de démarche de transition sociale et médicale. Pour moi, exploration et transition s’entremêlent.  Il y avait certains effets de la testostérone que je voulais absolument, comme d’avoir une voix plus grave, et d’autres que je redoutais beaucoup, comme la pilosité faciale. Je n’étais pas capable de trancher, alors j’ai décidé d’explorer l’hormonothérapie, tout en sachant que la prise d’hormones est un forfait tout inclus, c’est-à-dire qu’on ne peut malheureusement pas choisir les effets qu’on va avoir et ceux que l’on n’aura pas. 

Par contre, une chose sur laquelle on a le contrôle, c’est la dose. J’ai commencé avec une très faible dose. Une faible dose ne veut pas dire qu’on ne va pas avoir certains effets, mais que les changements apparaîtront plus lentement. Ainsi, on a plus de temps pour assimiler les changements et voir s’ils nous conviennent, et plus de temps pour arrêter le traitement avant que certains changements apparaissent, si c’est ce qu’on désire. 

 J’aime bien cette image et ce tableau qui montrent les effets de la testostérone et leur délai d’apparition. Les flèches jaunes représentent le début du changement et les flèches mauves représentent le temps que ça prend pour que les effets atteignent leur maximum, sous une dose normale. En général, sous une dose plus faible, les effets prennent plus de temps à apparaître et à atteindre leur maximum. Penses-tu que de considérer la prise d’hormones avec une plus faible dose que celle habituellement prescrite pourrait t’aider à prendre une décision? 

Effet physique Réversibilité Début de l’effet
Acné Réversible 1 à 6 mois
Redistribution des graisses Réversible/Variable 3 à 6 mois
Augmentation de la masse musculaire et de la force Réversible 6 à 12 mois
Augmentation de la pilosité faciale et corporelle Irréversible 3 à 6 mois
Calvitie Irréversible Variable
Arrêt des menstruations Réversibles 2 à 6 mois
Agrandissement du clitoris Irréversible 3 à 6 mois
Atrophie vaginale Réversible 3 à 6 mois
Mue de la voix Irréversible 3 à 12 mois

 

Ce qui est important avec la prise d’hormones, c’est d’être conscient qu’il y a des effets irréversibles. Pour la testostérone, ces effets sont la mue de la voix, l’hypertrophie du clitoris et l’augmentation de la pilosité corporelle et faciale. Si tu veux ces effets ou qu’ils ne te dérangent pas, alors il n’y a pas vraiment de contre-indication à la prise d’hormones. Tu peux l’arrêter plus tard si tu as des effets réversibles qui ne te conviennent pas et tu conservera les effets irréversibles que tu as acquis pendant cette période. Tant que tu conserves tes ovaires, tu peux tout à fait arrêter la prise de testostérone si tu n’es plus à l’aise avec celle-ci. Ça ne veut pas dire que tu détransitionnes, ou que tu t’es trompé, seulement que tu connais mieux que quiconque ton corps et ce à quoi tu veux qu’il ressemble. Personnellement, après environ un an et demi sur une petite dose de gel de testostérone, j’avais obtenu la majorité des effets que je désirais et je commençais à avoir l’air trop masculin à mon goût, à cause de la redistribution de mes graisses dans un profil associé à la masculinité. Je voulais aussi éviter à tout prix l’apparition de pilosité faciale. J’ai donc cessé de prendre mes hormones. Puis, six mois plus tard, trouvant que je n’avais plus assez de libido et que je recommençais à avoir l’air trop féminin, j’ai recommencé. Depuis, je continue de suivre ce rythme d’environ 6 mois sous hormones suivis de 6 mois sans. C’est ce qui me convient. 

Je connais d’autres personnes non-binaires qui n’étaient pas certaines de vouloir prendre de la testostérone, et qui finalement ont vraiment aimé les changements que ça leur a apportés et n’ont jamais arrêté. D’autres voulaient exclusivement les changements permanents tels que la mue de la voix et l’hypertrophie du clitoris, et ont donc arrêté définitivement l’hormonothérapie après les avoir obtenus. 

Chaque personne trans ou non-binaire est différente et a donc une transition unique. On nous fait souvent sentir qu’il n’y a qu’un seul parcours de transition médicale légitime, ou que les médecins savent mieux que nous quel traitement est approprié pour nous, mais c’est loin d’être vrai. Tu es la seule personne qui peut savoir si tu as envie de faire une transition médicale, et si tu ne le sais pas, ce n’est pas grave non plus.

Il n’y a pas de manuel pour gérer ce genre de décision et la société ne nous y prépare pas du tout. En plus, quand on est une personne non-binaire, on a très peu de modèles de qui s’inspirer et sur lesquels s’appuyer pour façonner notre identité.

Il se peut donc que tu te trompes et il se peut que tu changes d’avis. Ce n’est pas grave. Le plus important c’est d’être au courant des effets attendus, des effets secondaires et des changements permanents associés à l’hormonothérapie, et de prendre une décision la plus éclairée possible. 

Pour les chirurgies, c’est un peu différent, puisqu’il s’agit de changements qui sont très grands partie irréversible. Par contre, je crois qu’il faut déconstruire l’idée de transition linéaire qui est souvent associée aux chirurgies. J’entends souvent que de prendre des hormones nous entraîne automatiquement sur la route qui mène vers les chirurgies, mais c’est totalement faux. 

Tu peux avoir une chirurgie, par exemple une mastectomie, sans prendre d’hormones, et tu peux prendre des hormones sans jamais avoir de chirurgie! Il y a un mythe qui dit qu’il faut absolument avoir une hystérectomie (ablation de l’utérus) après avoir passé cinq ans sous testostérone, mais c’est absolument faux! De plus, il est possible pour beaucoup de personnes transmasculines de porter des enfants si elles arrêtent la prise de testostérone, même si elles en prennent depuis plusieurs années.

Je vois aussi des gens qui disent que certaines chirurgies doivent venir avant d’autres, par exemple la mastectomie qui doit venir avant les chirurgies génitales, mais encore une fois, c’est très arbitraire et loin de la réalité de certaines personnes. Moi par exemple, je ne veux pas de mastectomie, mais je vais avoir une métoïdioplastie très bientôt.

Finalement, tout comme l’hormonothérapie, rien ne t’empêche de commencer les longues démarches pour avoir une chirurgie même si tu n’es pas sûr à 100 % que tu en veux une. C’est ce que j’ai fait, et quand j’ai obtenu une première date pour ma métoïdioplastie, j’ai finalement décidé de la reporter car je n’étais pas encore prêt. 

Malheureusement, puisque AlterHéros est un organisme québécois et que tu es en France, je ne peux pas t’éclairer sur les démarches pour avoir accès à une transition médicale. Je t’invite donc à lire ce guide sur les hormones et celui-ci sur les chirurgies, et je te suggère fortement de contacter l’association trans la plus près de chez toi afin d’obtenir du soutien si tu décides d’entreprendre une transition médicale. 

Finalement, je veux aborder brièvement le sujet du jugement des autres et de la navigation des relations amoureuses lorsqu’on transitionne médicalement. Je te suggère vraiment de t’entourer de personnes trans et non-binaires, que ce soit de façon virtuelle, par exemple sur des forums ou des groupes Facebook, ou en présentiel. Je crois que c’est la meilleure façon d’obtenir du soutien pour faire face aux préjugés de son entourage, car chacun.e d’entre nous a vécu des situations de rejet et le partage de ces expériences nous apporte un soutien inestimable. Il s’agit aussi d’une bonne façon de développer des amitiés où l’on n’aura pas à expliquer les sentiments qui mènent à la décision de faire ou non une transition médicale. Je ne connais pas grand-chose de plus puissant que l’amitié et l’amour entre personnes trans.

J’espère que ma réponse t’aide à envisager la suite des choses. Si tu as besoin d’en parler davantage, nous sommes là, alors n’hésite surtout pas à nous réécrire. 

Je t’envoie du courage!

 

Séré, intervenant pour AlterHéros

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