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18 février 2020

Je trouve qu'il y a une discrimination à l'égard des donneurs de sang homosexuels au Québec. Existerait-il d'autres solutions pour évaluer un candidat sans discrimination?

Bonjour,
Je trouve qu’il y a une forme de discrimination à l’égard des donneurs de sang qui sont homosexuels. Bien que l’État a changé légèrement le délai ces dernières années avant de pouvoir donner du sang , je me demande comment ils font pour évaluer les différents candidats.
Je veux dire qu’il me semble qu’il doit y avoir d’autres façons d’évaluer les nombreux candidats qu’en passant par un formulaire écrit. (Existe-t-il d’autres méthodes moins dépassées que le formulaire écrit?)
Quel est le processus d’évaluation des donneurs de sang ? )( de a à z)
Enfin, est-ce qu’il existerait d’autres solutions pour évaluer un candidat sans rentrer dans la discrimination ?

Guillaume Perrier

Bonjour,
Je trouve qu’il y a une forme de discrimination à l’égard des donneurs de sang qui sont homosexuels. Bien que l’État a changé légèrement le délai ces dernières années avant de pouvoir donner du sang , je me demande comment ils font pour évaluer les différents candidats.
Je veux dire qu’il me semble qu’il doit y avoir d’autres façons d’évaluer les nombreux candidats qu’en passant par un formulaire écrit. (Existe-t-il d’autres méthodes moins dépassées que le formulaire écrit?)
Quel est le processus d’évaluation des donneurs de sang ? )( de a à z)
Enfin, est-ce qu’il existerait d’autres solutions pour évaluer un candidat sans rentrer dans la discrimination ?
Lucky Luck
 
Salut Lucky Luck ! (Joli surnom, en passant!)
Merci encore une fois pour la confiance que tu portes envers AlterHéros. Tu soulèves ici une question importante qui constitue effectivement un enjeu politique et social important pour les communautés LGBTQ+. En effet, tu nommes les critères discriminatoires empêchant des hommes qui ont eu des rapports sexuels avec d’autres hommes de donner du sang. Je partage effectivement ta perception, mais je profite également de cette réponse pour tirer un portrait global de la situation des dons de sang au Canada. Pour résumer ta question, tu te demandes comment la Société canadienne du sang et Héma-Québec évaluent les personnes désirant donner du sang. Tu te demandes également s’il existe des alternatives pour évaluer un.e candidat.e au don de sang qui éviterait les discriminations.
 
Premièrement, comment ça marche, un don de sang?
D’abord, l’évaluation d’un.e candidat.e se fait d’abord et avant par un questionnaire médical remis aux candidat.e.s à leur arrivée à un site de dons de sang. Tu peux suivre les différentes étapes d’un don de sang ici. Dès leur arrivée, le ou la candidat.e se fait remettre un questionnaire dans lequel on peut y lire les critères d’admissibilité.
Tu peux trouver l’ensemble des critères d’admissibilité ici : Puis-je donner? Ce questionnaire médical est rempli par la personne candidate elle-même. En d’autres mots, on attend de toutes et tous que les personnes déclarent la vérité sur leurs conditions de santé, antécédents sexuels, précédents voyages ou différents comportements. Une fois le prélèvement sanguin effectué, chaque échantillon de sang est analysé avec minutie par l’équipe médicale afin de détecter ces différents virus ou infections :

  • hépatites B et C;
  • virus du lymphome humain à cellules T (HTLV I/II);
  • syphilis;
  • virus de l’immunodéficience humaine (VIH);
  • virus du Nil occidental (VNO);
  • maladie de Chagas.

Advenant un résultat positif, le don de sang est détruit et la personne donneuse est avisée du diagnostic de façon confidentielle.
 
Deuxièmement, quels sont les critères d’admissibilité jugés discriminatoires?
Je vais être franc avec toi, et ceci est ma position personnelle sur le sujet, mais la politique actuelle de dons de sang se fonde sur la stigmatisation, et non la science. Et ce type de stigmatisation est grave, elle nourrit l’idée que certains groupes sociaux, de par leur orientation sexuelle ou leur origine culturelle, sont automatiquement contagieux de certaines infections. On trace donc une ligne imaginaire entre le bon sang de personnes respectables et le mauvais sang de personnes marginalisées.
Dans l’ensemble, la Société canadienne du sang et Héma-Québec sélectionnent les donneurs et donneuses selon leur identité plutôt que leurs comportements.
En ce qui concerne les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HARSAH), ces derniers ont l’interdiction de donner du sang s’ils ont eu un rapport sexuel dans les trois derniers mois. Cette interdiction était préalablement à vie avant 2013, avant d’être réduite à 5 ans en 2013, puis à un an en 2016, et à trois mois en 2019. Cette interdiction s’applique également envers les femmes qui ont eu un rapport sexuel avec un HARSAH. Toutefois, cette exclusion ne s’adresse qu’aux hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes, et aucunement envers l’ensemble des autres personnes sexuellement actives.
De plus, la Société canadienne du sang et Héma-Québec discriminent également plusieurs autres groupes sociaux. Par exemple, toute personne ayant vendu ou échangés des services sexuels ne peut donner du sang pour 5 ans et toute personne ayant eu un rapport sexuelle avec une personne dans cette position ne peut donner du sang pour 12 mois. On se base donc sur la stigmatisation sociale entourant le travail du sexe pour discriminer un.e potentiel.le donneur.se au lieu de s’intéresser aux prises de risques et aux comportements sexuels de ces personnes.
Des discriminations similaires sont également appliquées aux personnes ayant déjà consommé des drogues par injection ainsi qu’à leurs partenaires, peu importe si ces personnes consomment leurs drogues de façon sécuritaire avec du matériel stérile.
Et même chose pour toute personne ayant eu un tatou ou un piercing dans les 3 derniers mois, indépendamment aux conditions sanitaires ou de stérilité de ces aiguilles. Contrairement aux traitements d’acupuncture où cette distinction entre aiguille à usage unique et stérile versus aiguille souillée est appliquée. En effet, si une personne a reçu son traitement d’acupuncture avec des aiguilles à usage unique, alors la personne peut donner du sang. Pourquoi ne pas appliquer ce même règlement basé sur la stérilité des aiguilles pour l’ensemble des pratiques plutôt que de sélectionner selon l’usage (tatouage, piercing, injection de drogues) de ladite aiguille?
De plus, si un.e potentiel.le donneur.se a eu un rapport sexuel dans les 12 derniers mois avec une personne vivant avec le VIH, l’hépatite B ou C, cette personne ne pourra pas donner de sang. Toutefois, cette clause ne tient pas compte de la question de la charge virale, par exemple, où une personne vivant avec le VIH et dont sa charge virale devient indétectable avec la prise de ses médicaments ne pourra pas transmettre le VIH par voie sexuelle. Conséquemment, cette clause est discriminatoire pour tou.te.s les partenaires d’une personne séropositive indétectable.
Les politiques concernant les dons de sang par des personnes trans sont également très discriminatoires, où les personnes trans sont catégorisées uniquement selon leurs organes génitaux et non selon leur identité de genre. Conséquemment, un homme cis hétérosexuel en relation avec une femme trans hétérosexuelle ayant conservé son pénis de naissance sera considéré comme HARSAH par la Société canadienne du sang et Héma-Québec, l’empêchant de donner du sang. Pour un article complet sur cet enjeu, je t’invite à lire cet article : Don de sang chez les personnes trans au Canada.
Puis, mis-à-part ces différentes discriminations préalablement citées, il existe également des discriminations liées aux origines culturelles ou aux voyages, où une personne née en Amérique latine ou au Mexique ne pourra pas donner de sang, ni une personne ayant séjourné au moins un mois en Amérique latine ou au Mexique. Des exclusions similaires concernant plusieurs pays européens sont également en vigueur.
Puis, des exclusions sur la base de certains médicaments existent également. Celui qui m’interpelle le plus est l’exclusion pour toute personne utilisant l’Emtricitabine / Fumarate tenofovir disoproxil. Ce médicament est en fait le nom générique pour la prophylaxie pré-exposition (PrEP), le médicament utilisé pour se prévenir de contracter le VIH. N’est-ce pas contradictoire qu’un homme homosexuel utilisant la PrEP pour se prévenir du VIH ne puisse pas donner du sang, puisque celui-ci est considéré trop à risque de contracter le VIH?
Je pourrais probablement cité plusieurs exemples et contradictions entourant les critères d’admissibilité d’Héma-Québec et de la Société canadienne du sang. Qu’est-ce qu’on peut tirer comme constat de tout cela? Héma-Québec et de la Société canadienne du sang ne se basent malheureusement pas sur la science, ils se basent sur la stigmatisation sociale de certains groupes pour légitimer leurs exclusion, encourageant une panique morale et une peur sociale de ces mêmes personnes.
 
Troisièmement, quelles alternatives?
Tu nous demandes s’il existe des alternatives à ce type de questionnaire. La réponse est : oui! Depuis plusieurs années, plusieurs organisations communautaires, de défense de droits et citoyen.ne.s se mobilisent pour exiger des changements à ce niveau. Qu’est-ce que nous proposons exactement? Très simple. Nous proposons que les critères d’exclusion aux dons de sang soient uniquement basés sur les comportements à risque et non pas sur l’orientation sexuelle ou l’identité d’une personne. Il sera alors possible de s’intéresser à la prise de risques sexuels chez les personnes hétérosexuelles, de s’intéresser aux conditions d’injection des personnes consommatrices de drogue, aux prises de risque entourant l’achat ou l’échange de services sexuels, etc. Dans l’ensemble, Héma-Québec et la Société canadienne du sang stigmatisent énormément de groupes sociaux en se basant sur la prévalence de certaines infections au lieu de se baser sur les comportements individuels de cette même personne.
De plus, considérant que tout le sang donné à la Société canadienne du sang et à Héma-Québec fait l’objet de test de détection d’agents pathogènes pouvant être détectés de 9 à 11 jours après l’infection, il pourrait être une solution de simplement exclure toute personne ayant eu un rapport sexuel non-protégé dans les 14 derniers jours ou un comportement à risque pendant cette même période. Pour le reste, considérant que le sang est analysé avec minutie, je ne vois pas pourquoi ces types d’exclusion persistent toujours.
Tu peux également lire la position de l’Association du barreau canadien à ce sujet : Le don de sang au Canada : Une politique discriminatoire à l’abri du contrôle judiciaire 
J’espère que cette (longue!) réponse a su éclairer tes réflexions. N’hésite pas à nous écrire de nouveau si tu en ressens le besoin.
Cordialement, Guillaume pour AlterHéros

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