Quelques fragments...

Il y a comme ça des matins où on se réveille et où l’on ressent soudainement le besoin insensé de mettre les choses au clair avec soi-même et le monde. Croyez-le bien, je ne cherche en rien une réponse miracle à mes problèmes, j’ai compris, il y a bien longtemps, à ce sujet que j’étais le seul à pouvoir m’aider. Je pense que je ressens juste le besoin, pour une fois, de mettre les choses clairement par écrit. Je vais pouvoir commencer, je n’ai qu’une chose à partager, mon histoire tout simplement. Je ne doute pas qu’il en existe des plus tragiques, néanmoins, c’est mon histoire, et en tant que telle, elle m’intéresse forcément.

AlterHéros

Il y a comme ça des matins où on se réveille et où l’on ressent soudainement le besoin insensé de mettre les choses au clair avec soi-même et le monde.  Croyez-le bien, je ne cherche en rien une réponse miracle à mes problèmes, j’ai compris, il y a bien longtemps, à ce sujet que j’étais le seul à pouvoir m’aider. Je pense que je ressens juste le besoin, pour une fois, de mettre les choses clairement par écrit. Je vais pouvoir commencer, je n’ai qu’une chose à partager, mon histoire tout simplement. Je ne doute pas qu’il en existe des plus tragiques, néanmoins, c’est mon histoire, et en tant que telle, elle m’intéresse forcément.

Tout le monde, ou presque, pour éclairer les sombres heures de son existence d’adulte, quand tout va mal, a toujours de bons souvenirs auxquels se raccrocher, la certitude d’un bonheur infini et éternel, dénué de toute douleur, que l’on ne peut connaître que lorsque l’on est enfant. Ça rend parfois un peu nostalgique, mélancolique, mais est-ce réellement douloureux, je ne le pense pas ! J’envie ces personnes !

Il y a aussi des gens qui ont eu une enfance terrible, à cause de leur situation, de leur famille ou de je ne sais quoi encore. Pourtant, même eux, ceux qui ont eu la pire vie d’enfant, garde quelques traces de souvenirs heureux. Avec toute la tourmente atroce qu’ils ont vécue, croyez-le ou pas, je les envie.

J’ai beau chercher, les années passent et m’éloignent de l’enfance, ce qui n’aide en rien, et pourtant, je ne me souviens de rien. Je n’ai aucun souvenir, ou presque pas, de vagues flashs qui semblent concerner quelqu’un d’autre, rien de probant. Gigantesque black out bien performant, le cerveau est une formidable machine, une terrible, mais performante machine.

Maintenant, la question est de savoir pourquoi ce gigantesque trou dans ma vie, cette oblitération quasi totale. Il y a bien entendu une raison, il existe toujours une origine à toute chose. Hélas, dans ce petit intermède très infime, réside les souvenirs les plus traumatisants de ma vie, les plus terrifiants. Hélas, les seuls souvenirs qu’il me reste sont aussi d’une précision clinique aberrante. Voilà, ce sont des images de mon viol, je n’en ai que quelques-unes. Je ne me souviens pas de tout et vous n’imaginez pas le chemin que j’ai dû faire en moi pour arriver à en parler aussi clairement. Il m’a fallu du temps, beaucoup de patience et de volonté. Bien sûr, cela laisse des traces et, encore aujourd’hui, je connais des difficultés à cause de cela, et ce, même si je vais nettement mieux. Et c’est bien là le problème.

Durant tout ce que j’appelle ma ténébreuse adolescence, je ne me suis souvenu de rien avec précision et les rares fois où quelques images me sont venues à l’esprit, je les ai rejetées avec une violence incroyable. Se souvenir était pour moi synonyme de mourir, tout simplement. Si je m’en étais rappelé à cette époque, aussi instable que j’étais, je crois que cela aurait mis un terme définitif à ma vie, je ne serais plus là pour en parler. Heureusement, il ne fut rien de tout cela.

L’esprit se disperse, le corps, lui, n’oublie pas, jamais. Si mes pensées n’y comprenaient rien, mon corps gardait le souvenir de cette épreuve et il la rejetait entièrement. En réalité, comme je le disais à l’époque, je détestais ce qui me servait de corps et je crois que j’ai tout tenté pour y mettre fin. C’est ce que je nommerais un suicide lent, pourquoi faire rapidement quand on peut faire durer, n’est ce pas ?

Je suis passé par plusieurs addictions différentes, par des crises d’automutilation où je coupais mon corps. Un grand coup de front sur les murs me calmait, mais pas top. En réalité, j’étais bien plus marqué que je ne l’avouais jamais à quiconque. Je ne supportais même pas qu’on me touche, j’ai parfois encore du mal à me faire toucher quand je ne me sens pas totalement en confiance avec quelqu’un. Bien entendu, je supportais surtout très difficilement qu’un homme me touche, évidemment, mais je ne le comprenais pas à l’époque.

Le reste arriva, car je commençais peu à peu à comprendre que malgré tout ce qui m’était arrivé, j’aimais justement les hommes. Cette idée m’était insupportable, c’était inimaginable, la négation de tout, y compris de moi-même. Je refoulai donc cela aussi, à mon grand détriment, je ne me sentais pas plus en phase avec moi-même. Je n’aimais pas plus les femmes, forcément, je me définissais un peu comme asexué.


Forcément, et avec tout le désastre ou la drôlerie que cela implique, je suis sorti avec des filles. Je ne le regrette en rien, j’ai appris des choses sur moi-même, et puis, de temps à autre, j’ai pu me détendre en connaissant un minimum de tendresse, et cela, je ne le regretterai jamais. Mais, nécessairement, ça ne fonctionnait pas pour autant. Comme je le dis souvent, le corps a sa propre sagesse. Il y a des choses que j’avais bien du mal à lui contraindre à faire, ça a duré des années avant que cela ne change. Cela s’est produit il y a 4 ou 5 ans, je ne sais plus exactement.

Un soir, j’étais complètement défoncé et très zen, je crois que je ne m’étais jamais senti aussi zen de ma vie. J’ai repensé à mon enfance, je ne sais plus exactement ni pourquoi, ni par quelle discussion, cela n’est pas important. Seulement, je n’ai pas refoulé parce que la drogue avait créé la distance nécessaire pour permettre cette évocation. Je savais que tout ce qui me revenait en tête me concernait, mais dans ma tête, c’est un peu comme si cela était arrivé à une autre personne. En tout cas, j’y ai beaucoup songé cette nuit-là, tout devenait limpide, parce que, pour la première fois de ma vie, j’admettais tout simplement que cela me soit arrivé. Je commençais aussi à comprendre tout ce que cela avait impliqué dans ma vie, et tout ce que cela continuerait à impliquer durant toute ma vie. Ce soir-là, je posai la première pierre qui allait contribuer à me construire.

En réalité, après, très rapidement, tout a débloqué dans ma tête. J’ai finalement admis être une victime et non un coupable … enfin c’est beaucoup plus subtil que ça. En admettant que je n’étais pas responsable, j’ai aussi commencé à admettre que j’aimais les hommes, que je n’y pouvais rien, et que ce que j’avais vécu avant n’y pouvait rien changé. Je me suis permis d’aimer ce qui m’avait fait souffrir autrefois. Le reste est venu je dirais assez rapidement et m’a permis de me sentir bien pour la première fois de ma vie. Je me suis senti entier et unique.

En réalité, le plus dur à admettre, ce ne fut pas tout ça. Le plus difficile fut sans doute d’admettre que malgré tout le mal que ça m’avait fait, ça ne m’avait pas fait que du mal. Le plus difficile fut sans le moindre doute d’accepter d’avoir été à la fois une victime et également aussi d’avoir éprouvé un certain plaisir, croyez-le ou non. Ça a mis son temps, ça m’a fait vachement de mal, heureusement, je n’étais pas seul à cet instant, heureusement.

J’ai appris combien était réjouissante ma vie et ce que cela impliquait d’être homo. Bien entendu, j’ai subi, je pense, les mêmes désillusions que tout le monde. On m’avait prévenu que des mecs ne s’intéresseraient à moi que pour coucher, et bizarrement, je m’en foutais. C’est un truc qui ne me touche pas réellement, mon corps n’a pas entièrement guéri de tout, mais ça vient.

Étrangement, je supporte plus d’être touché pour le sexe alors qu’une étreinte amicale peut me rendre vachement mal-à-l’aise. Ça aussi guérira avec le temps, peu à peu, je me suis toujours dit que la seule chose irrémédiable sur cette terre était la mort, donc j’ai de la marge.

Après avoir tout assumé, j’ai découvert que j’avais beaucoup plus de volonté et de force que je le croyais. J’ai découvert en moi une force que je ne connaissais pas, que je ne soupçonnais même pas un seul instant. Ça me permet encore aujourd’hui d’avancer, même si on finit par me reprocher d’être trop fort et indépendant. Voilà, tout dans ma vie est loin d’être parfait et j’en ai conscience. J’ai toujours un peu de mal avec les contacts physiques, beaucoup de mal à m’impliquer sentimentalement et je suis toujours quelqu’un qui paraît froid. Tout cela participe du fait que j’ai bien du mal à faire confiance aux autres, car, quelque part, je crains toujours que l’on me fasse du mal. Il y a des traumatismes dont on guérit certes, mais qui incitent à la prudence, et ce, à jamais sans doute.

J’ai quelques amis fidèles qui savent ce qui m’est arrivé étant jeune. Ce n’est guère une histoire que je raconte à tout le monde parce que c’est personnel et parce que je ne suis pas, non plus, certain que ça ne me desservirait pas auprès de certains. Qui plus est, j’ai déjà remarqué que ce n’est pas tout le monde qui peut assumer de connaître et de partager mon histoire et ma vie, je l’ai hélas appris plusieurs fois à mes dépens de gens que je croyais mes amis.

Et puis, et c’est sans doute le plus important aujourd’hui, j’ai fait la paix avec moi-même, ce qui est arrivé est arrivé, c’est une tragédie, mais c’est derrière moi. Aujourd’hui, très simplement, le meilleur reste à venir. J’ai appris à aimer, à m’aimer et à accepter qu’on m’aime, c’est plutôt cool, en bref, la vie est belle.

Voilà, je n’ai plus rien à ajouter, c’est ainsi que se conclut mon histoire ou plutôt c’est ainsi qu’elle a commencé.

Julien

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