Dois je assumer mon identité de genre et en parler?
Bonjour
Je suis née en m’appelant A.-L., mais je préfère Antoine. J’ai 14 ans et c’est très difficile de penser qu’on n’est pas né dans le bon corps. Je n’ai jamais parlé à quelqu’un sur mon orientation sexuelle et sur ce que je ressens en étant une fille. Pour moi dans ma tête je suis un garçon mais qui est dans un corp de fille. Je ne fais confiance à personne, depuis le ce1 je ressens le besoin d’être un garçon. Je me déteste, je me fais du mal et je pleure beaucoup. Je ne suis pas heureux, je suis nul et horrible. Je ne porte que des t-shirts, sweet et pantalon jamais de robe ou de jupe. J’ai besoin de parler à quelqu’un de confiance. Je veux avoir les cheveux courts, avoir un torse d’homme. J’ai extrêmement peur de leurs réactions et qu’ils ne m’aident pas.
Dois je m’assumer et en parler?
Et je voudrais tellement arrêter de me vouloir du mal pour ne pas être dans le bon corp.
Je voudrais faire de la chirurgie.
Pouvez – vous m’aider?
Merci de votre compréhension
Antoine
Bonjour Antoine!
D’abord, je veux te remercier de la confiance que tu portes à AlterHéros en nous envoyant ce message. Ça peut être très difficile d’exprimer qu’on ne se sent pas bien dans le genre qui nous a été assigné à la naissance, et je suis très fier de toi d’avoir réussi à le faire en nous envoyant ce message.
Ce que tu nous partages ressemble énormément à ce que j’ai vécu à l’adolescence. Vers l’âge de 12 ans, j’ai commencé à me sentir vraiment différent des autres, à détester mon corps, à pleurer souvent et à me faire mal. Je n’ai pas pu mettre des mots sur ce que je vivais jusqu’à l’âge de 17 ans, moment où j’ai rencontré des personnes trans pour la première fois et que j’ai compris que j’étais comme elles. À partir de ce moment-là, ma vie a changé drastiquement pour le mieux. Voyons qu’est-ce qu’on peut faire pour que tu puisses aller mieux toi aussi.
D’abord, tu sembles ressentir beaucoup de dysphorie. La dysphorie, c’est quand on ressent un malaise ou de la détresse par rapport à des caractéristiques genrées de son corps ou à la façon dont elles sont perçues par les autres. La façon principale de lutter contre la dysphorie est de transitionner, c’est-à-dire de faire des changements à ton corps, la façon dont tu t’habilles, la façon dont tu te présentes, etc. Malheureusement, ce n’est pas possible pour tout le monde de faire un coming-out et de transitionner. Je vais te parler plus loin dans ma réponse de coming-out, mais pour l’instant, je veux parler de ce que tu peux faire en attendant pour alléger ta dysphorie.
Plusieurs personnes trans trouvent que « être né dans le mauvais corps » reflète leur vécu. Mais il faut se rappeler que notre corps nous appartient. Si tu es un garçon, ton corps est déjà un corps de garçon, car il est à toi. Les garçons ont toutes sortes de corps. Certains sont nés avec un pénis, d’autres avec une vulve, d’autres avec un mélange des deux. Ton corps n’est pas mauvais, c’est le fait que la société t’ait assigné un genre sans te demander ton avis qui est mauvais. Tu es un garçon important et qui a de la valeur, peu importe à quoi ton corps ressemble.
Ceci étant dit, la dysphorie est quelque chose qui est extrêmement difficile à vivre et qui peut affecter notre santé mentale de façon très négative. Au fil du temps, j’ai appris à mieux la naviguer et j’ai donc quelques trucs à te partager.
Personnellement, je constate que je vis deux formes principales de dysphorie, la dysphorie physique et la dysphorie sociale.
La dysphorie physique est quand je me sens mal par rapport à une caractéristique de mon corps, quand je suis chez moi, seul. Pour moi, la plus grande source de dysphorie physique que j’éprouve est liée au fait de ne pas avoir de pénis. Dans ce temps-là, ce qui me fait le plus de bien est de porter un packer ou un stand-to-pee. Je me sentais plus « complet ». Avant d’avoir accès à un « vrai » packer, je portais une paire de chaussettes dans mes pantalons et ça me faisait déjà sentir mieux! Dans ton texte, tu parles surtout de ta poitrine. Connais-tu les binders? Ce sont des vêtements de compression pour la poitrine. Tu pourrais voir avec tes parents s’ils sont ouverts à t’en acheter un pour que tu te sentes mieux. Sinon, il est possible de porter un soutien-gorge de sport pour aplatir ta poitrine, et de porter une chemise ouverte par-dessus un t-shirt pour dissimuler encore plus les courbes. Ce n’est pas une solution parfaite, mais penses-tu que ça pourrait t’aider à te sentir mieux par rapport à ton corps?
Un autre truc que j’ai est de porter attention aux détails que j’aime de mon corps et qui me font sentir bien. Ça peut être difficile dans un contexte où on sent que notre corps est « contre » nous, mais ça se pratique. Par exemple, j’aime bien mes jambes et mes yeux, et à force de me le répéter j’ai tendance à plus remarquer ces parties de mon corps que j’aime et à moins remarquer celles qui me dérangent.
La dysphorie sociale, elle, est liée au fait de se faire mégenrer (se faire dire « elle » si on est un garçon par exemple) par d’autres personnes et provoque souvent de la dysphorie physique sur le moment ou par après. Ça peut être compliqué à gérer, car malheureusement on ne contrôle pas les autres personnes qu’on est obligés de fréquenter, par exemple à la maison ou à l’école, et qui ne savent pas qu’on est trans ou ne comprennent pas l’impact de leurs mots sur nous.
Moi, mon truc par rapport à ça est d’essayer de « faire le plein » d’interactions qui valident mon identité. Ça peut par exemple être d’appeler une ligne d’écoute ou d’écrire à un service de clavardage comme ceux de SOS homophobie, et de dire que tu t’appelles Antoine et que tu es un garçon trans. Avoir une interaction positive avec la personne qui te répondra et te faire genrer au masculin pourrait t’aider à te sentir bien et à avoir plus d’énergie pour faire face à la dysphorie par la suite. Penses-tu que ça pourrait t’aider?
Maintenant, parlons de coming-out. Quand tu dis que tu as peur de leur réaction, parles-tu de tes parents? Les as-tu déjà entendu parler des personnes trans de façon négative? Sinon, ce pourrait être une bonne idée d’aborder le sujet de façon générale pour voir ce qu’ils en pensent. Par exemple, tu pourrais dire que tu connais quelqu’un qui a fait un coming-out en tant que personne trans ou que tu en as entendu parler dans une émission de télévision. Comme ça, tu pourrais voir si leur réaction est positive ou négative et mieux savoir à quoi t’attendre.
Quand tu dis « dois-je m’assumer et en parler? », il y a plusieurs questions que tu peux te poser :
Est-ce que je me sens en sécurité d’aborder le sujet de mon identité de genre?
Ta sécurité est la priorité et tu n’es jamais obligé.e d’avoir des conversations qui pourraient te mettre en danger. Même si tu restes dans le placard parce que tu as peur d’aborder ce sujet avec tes parents ou d’autres personnes dans ta vie, ça ne fait pas de toi quelqu’un qui est « moins trans » ou « moins non-binaire » que si tu avais la possibilité de transitionner. Par ailleurs, il n’est jamais trop tard pour transitionner. Si tu ne peux pas le faire maintenant dans ton milieu, cela ne veut pas dire que tu ne pourras jamais transitionner, ni que tu seras trop âgé.e pour le faire lorsque tu t’en sortiras.
Est-ce que je suis prêt à dévoiler mon identité de genre?
Un coming-out peut être une grosse étape. Tu as le droit d’attendre d’être prêt, tu as le droit de te préparer et tu as aussi le droit de décider de ne pas parler de ton identité de genre à certaines personnes. Tu peux aussi y aller par étapes. Peut-être que tu préférerais en parler d’abord à d’autres personnes que tes parents, comme un.e professeur.e à ton école ou ton médecin. Peut-être aussi qu’il serait plus facile pour toi d’expliquer d’abord à tes parents que tu ne te sens pas bien en ce moment, que tu te sens anxieux et déprimé, et que tu aimerais consulter un.e psychologue, si tu crois que ça pourrait t’aider.
Est-ce qu’il se peut qu’iels réagissent bien?
Parfois, on se concentre tellement sur les possibilités négatives qu’on oublie qu’il se pourrait que ça se passe plutôt bien. Je ne connais pas ta situation alors je ne sais pas si ça peut s’appliquer pour toi. Comment est ta relation avec tes parents? Si tu as deux parents, y a-t-il un.e parent dont tu es plus proche et qui pourrait t’aider à faire ton coming-out à ton autre parent, si c’est sa réaction que tu crains le plus?
Quels changements est-ce que je veux que mon coming-out apporte?
Ce qui aide beaucoup quand on fait un coming-out est de nommer les choses que l’on veut changer, parce que des choses qui paraissent tout à fait évidentes pour nous peuvent ne pas l’être du tout pour les autres! Par exemple, quand j’ai dit à ma mère que je n’étais pas une fille, je m’attendais à ce qu’elle en comprenne que je ne voulais plus qu’elle m’appelle « ma belle » ou qu’elle me présente comme était « sa fille aînée ». Sauf qu’elle n’avait pas vraiment pensé tout de suite à ces implications et ça a causé beaucoup de friction entre nous. J’ai donc appris que je devais nommer ce que je voulais. Donc tu peux te demander : Veux-tu que tes parents utilisent un nouveau prénom et des nouveaux pronoms (il, elle, iel, etc.) pour parler de toi? Aimerais-tu que tes parents t’aident à acheter des nouveaux vêtements ou un binder? Voudrais-tu qu’iels t’aident à trouver un.e professionnel.le de la santé pour entamer des démarches de transition médicale comme la prise de bloqueurs de puberté? C’est très important que tu connaisses tes besoins et tes limites pour pouvoir les nommer et répondre à leurs questions. C’est aussi pertinent de penser à ce qui ne changera pas! Souvent, quand on fait un coming-out trans, les personnes proches de nous ont l’impression que l’on veut « devenir » quelqu’un d’autre. Tu peux les rassurer en leur disant que tu es encore la même personne, que tu as toujours été un garçon, que tu gardes la même personnalité et les mêmes intérêts!
Si après avoir répondu à ces questions, tu décides que tu veux faire un coming-out, je te conseille de lire cette réponse et cette réponse que j’ai récemment écrites sur le sujet.
Puisque AlterHéros est un organisme du Québec, je ne peux pas t’éclairer sur les processus pour avoir accès à des chirurgies d’affirmation du genre comme une mammectomie en France. Je te conseille donc de contacter l’association trans la plus proche de chez toi afin d’avoir plus d’aide à ce sujet.
J’espère que ma réponse t’aidera dans tes questionnements. Si tu as envie d’échanger davantage avec moi ou un.e autre intervenant.e d’AlterHéros, n’hésite surtout pas à nous réécrire. Ça nous fait toujours plaisir d’avoir des nouvelles des jeunes qui nous ont posé une question!
Je t’envoie tout plein de courage,
Séré, intervenant pour AlterHéros