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11 juillet 2019

Mon frère est trans. Comment lui donner du soutien tout en respectant mes limites ?

Merci beaucoup (beaucoup beaucoup) pour vos messages, ça aide vraiment et c’est apprécié! Je vous envoie quelques questions de plus, mais surtout des nouvelles si vous le permettez. Ça me fait du bien de mettre des mots écrits sur ce qui se passe, de pouvoir en discuter sans me sentir mal de révéler des secrets sur mon frère ou d’en faire un objet de conversation auprès de notre entourage. Ça peut avoir l’air d’un enjeu à régler plutôt que d’une personne, je n’aime pas cette version.

Bonjour l’équipe des AlterHéros,
Merci beaucoup (beaucoup beaucoup) pour vos messages, ça aide vraiment et c’est apprécié! Je vous envoie quelques questions de plus, mais surtout des nouvelles si vous le permettez. Ça me fait du bien de mettre des mots écrits sur ce qui se passe, de pouvoir en discuter sans me sentir mal de révéler des secrets sur mon frère ou d’en faire un objet de conversation auprès de notre entourage. Ça peut avoir l’air d’un enjeu à régler plutôt que d’une personne, je n’aime pas cette version.
Donc… voilà. Il s’est passé plusieurs choses positives quand même. […]
Il y a deux interrogations floues qui me reste beaucoup en tête quand même à court terme:

– On voit que notre père n’est pas positif face à avoir une fille homosexuelle… Il est beaucoup dans le regard des gens, sa réputation, dire que c’est des caprices de vouloir s’afficher excessivement… On soupçonne qu’il sera encore moins content de se faire dire que sa plus jeune en fait c’est son plus jeune… et je suis inquiet d’avoir l’impression que c’est un élastique fragile : mon frère va quand même mieux depuis qu’il peut davantage faire des choses vues masculinement, mais ça lui enlève le goût d’imiter les affaires féminines et il a hâte d’être au masculin 24/24 et en même temps il est pas prêt pour nos parents et on se doute que ce sera un coup dur…
– C’est encore délicat, la question de la santé alimentaire. Je ne sais pas trop comment agir. Je ne veux pas faire sentir mon frère coupable, il y a quelque chose qui me semble très bizarre ou nocif dans essayer de négocier son rapport à la l’alimentation, je voudrais l’aider à changer ses habitudes dangereuses, mais je ne sais pas comment faire sans tout empirer… J’ai écrit aussi à des ressources pour les jeunes qui ont un rapport difficile au corps et à la nourriture, mais c’était souvent compliqué à jumeler avec son identité. Des gens répondaient que c’est courant que les jeunes filles limitent leur alimentation parce qu’elles n’ont pas envie des courbes, des menstruations, de devenir des femmes avec l’adolescence, etc. Mais c’est comme si leurs paroles étaient pour aider à embrasser sa propre féminité, mon frère haïrait ça, ce serait aller contre qui il est et très douloureux.
Et finalement, je ne veux pas être égoïste, c’est sûr que c’est plus compliqué et difficile pour mon frère que pour moi. C’est sûr que je ne connais pas le centième des défis qu’il doit traverser. Je me sens coupable, parce que j’ai l’impression d’être fatigué des fois d’avoir pris en charge les détails et les situations, d’être toujours en alerte… Je suis content de pouvoir aider mon frère, je ne voudrais pas faire autrement. Je me dis que c’est normal de l’aider. Il est plus jeune, dans une situation délicate urgente, et s’il ne peut pas compter sur moi, en qui il pourrait avoir confiance? C’est juste que c’est beaucoup d’énergie de tout démêler en même temps, de tout décortiquer en stratégies…
Je trouve ça difficile des fois d’avoir moins de temps pour le sport, les loisirs, juste pour moi, pour les amis ou pour être avec ma copine tout seuls. De travailler, puis d’ajouter les recherches, les messages aux organismes, le magasinage secret, aider ma copine avec les bouts faciles de couture, etc.
C’est un peu plus dur niveau budget aussi, étant donné que j’essaye d’acheter du savon, du déo, du shampoing de thématique « odeur de forêt virile, éclat de givre glacé mâle, lion masculin roi de la jungle, crème à raser tonnerre gentleman… » pour quand il est chez ma copine, chez notre demi-soeur, ou chez les madames âgées, avec aussi des nouveaux vêtements plus habituels masculins à mon frère (il a l’air pas mal perdu dans mes vêtements à moi, on n’a pas la même silouhette… à la limite, pour dormir, ça peut aller, mais comme je cherche du linge pour moi pour aller sur un corps de « grand fouet » et qu’il est beaucoup plus petit, avec plus de hanches et moins d’épaules, on dirait que s’il met la plupart de mes habits, ça fait ressortir l’allure « petite soeur qui met le linge de son grand grand frère et qui est mignonne d’avoir trop long de manche, de jambe et de tronc », ce n’est pas l’effet qu’on veut) et que chaque fois, j’essaye de brouiller les pistes pour mes parents en prenant aussi des trucs pour moi venant du même magasin, comme ça même en voyant les relevés de dépenses sur mon compte, ça paraît moins que c’est pour mon frère, je peux montrer des nouveaux morceaux à moi, dire que le reste est chez ma copine ou des amis, etc. Je ne sais pas trop comment gérer d’aider mon frère sans tout ramener à moi ou être un peu tanné, fatigué des fois, je sais que c’est horrible à dire mais c’est là en arrière-plan des fois dans ma tête.
Une dernière interrogation vague: bientôt, mon frère voudrait qu’on aille ensemble avec ma copine dans une piscine publique d’un quartier loin, pour pouvoir se baigner en faisant tout du côté masculin. On lui a trouvé un genre de gilet de surf, j’en ai pris un pareil comme ça on dirait que c’est de famille, être pudique ou fragile au soleil. On lui a trouvé un maillot et on est en train de tester des systèmes pour avoir le torse plat plat avec l’eau moulante et qu’il puisse avoir une bosse dans son short sans que ce soit bizarre, que ça parte partout, etc. On essaye de faire des précautions, mais j’ai quand même peur, d’un cas que ça ne se passe pas bien. Que des gens le reconnaissent et le dénoncent, ou se moquent, attirent l’attention sur lui, veuillent le battre ou le jeter hors des vestiaires vers celui des femmes, etc. Je vais rester tout le long près de lui, mais on ne sait jamais, des fois les gens peuvent être cruels. J’ai l’impression que c’est un moment important, je ne voudrais pas que ce soit traumatisant ou humiliant pour mon frère et qu’il reste avec ça en tête. Avez-vous des idées pour que ça aille bien?
Merci beaucoup de lire mon long message,
Pierre
 

Bonjour Pierre,
On m’a transféré les derniers échanges que tu as eu avec l’équipe d’AlterHéros, je prends le relais ici! 

En commençant, merci encore de nous faire confiance et bravo pour les actions qui ont déjà été faites!

D’abord, c’est une excellente nouvelle que d’autres membres de ta famille ou de vos proches soient maintenant vos allié-es! Tu as raison de parler d’ “une équipe de résistance contre des idées répandues par rapport à la sexualité”, même si les situations de chacun-e sont différentes. C’est rassurant de savoir qu’il y a des lieux où ton frère peut être lui-même et où il pourrait aller en cas de conflit avec vos parents. Je vous souhaite que ce réseau continue de s’élargir. 

Par contre, en effet, le coming out de ta demi-soeur montre qu’une réaction transphobe est à prévoir de la part de ton père. Les propos qu’il tient envers elle sont violents et l’important est de prioriser la sécurité de ton frère. L’homophobie et la transphobie viennent souvent de l’ignorance et, dans le meilleur scénario, l’éducation peut améliorer grandement la situation, mais c’est un travail sur le long termes. 

Avant de continuer là dessus, j’ajoute que si vous êtes à Québec, et si ce n’est pas déjà fait, Divergenres [https://divergenres.org/] a déjà été conseillé mais je voudrais insister : c’est un organisme dans lequel les jeunes personnes trans peuvent trouver du support, de la part de des adultes trans qui sont passé-es au travers, des allié-es, d’autres jeunes qui partagent leur vécu. L’organisme offre aussi des ateliers d’éducation, non seulement pour les personnes concernées, mais aussi pour leur entourage. Il y a des ateliers dédiés spécifiquement aux parents de jeunes trans. Iels essaient aussi d’aider avec les coming out difficiles et les parents réticents. Bien sûr, il faut quand même que les parents acceptent d’écouter, ce qui n’est déjà pas facile, mais c’est bon de savoir qu’ils offrent du support. La réaction de ton père laisse voir qu’il y a un gros travail d’éducation à faire avantle coming out. 

C’est difficile et je vous souhaite que la situation s’améliore. À long terme (quand la poussière du coming out de ta demi-soeur va être tombée) il serait possible d’y aller progressivement, d’aborder le sujet de manière détournée, évidemment sans parler de ton frère mais plutôt en prenant d’autres prétextes à propos d’autres personnes. Il vaudrait probablement mieux que ce soit d’autres personnes, par exemple des adultes allié-es, qui abordent le sujet pour tâter le terrain. 

Le désir de ton frère de vivre dans son identité 24h/24 est légitime, c’est certain. Malheureusement, une transition, c’est long. Je vais essayer de ne pas répéter le dernier message, mais je suppose qu’il y a quand même quelques changements qui peuvent se faire en attendant qui pourraient aider ton frère à se sentir un peu mieux. Du point de vue vestimentaire, il y a moyen de faire passer plusieurs choses sur le dos de “c’est confortable” ou de “c’est à la mode”. Bon, cette approche ne s’applique pas aux packers et autres accessoires d’affirmation de genre, mais peut fonctionner pour ce qui est de porter des vêtements amples ou se couper les cheveux. Beaucoup de personnes perçues comme des femmes portent des vêtements masculins sans que les gens sautent à la conclusion que ces personnes sont trans. Ce n’est certainement pas la même chose que de pouvoir assumer pleinement son identité, mais il y a moyen de diminuer (progressivement) l’attente que les gens ont envers lui d’être féminin, sans pour autant faire tout de suite un coming out. En plus des travaux que fait ton frère pendant l’été et où il peut être lui-même, se présenter dans les espaces trans-friendly organisés par les organismes, ou sur internet, avec son nouveau nom et l’apparence qu’il souhaite peut aussi faire du bien sans que vos parents aient à le savoir.

Pour ce qui est de la question de la santé alimentaire, j’ai un peu l’impression que ça dépasse mes compétences mais je vais faire de mon mieux. C’est vrai que les ressources à ce sujet ont tendance à s’adresser excessivement aux filles et les professionnel-les ne sont pas forcément renseigné-es sur les enjeux trans. Tu as bien raison d’éviter les intervenant-es qui empireraient le problème! C’est peut-être mieux de commencer par chercher des professionnel-les en santé mentale trans-friendly que des gens spécialisés précisément sur les troubles alimentaires. Vous pouvez retourner vers les listes qui étaient dans les derniers échanges ou demander conseil à Divergenres. Le fait de rencontrer d’autres adolescent-es trans et de voir la diversité de leurs expériences et leurs apparences physiques pourrait aussi faire du bien et permettre à ton frère de savoir qu’il n’est pas seul à vivre cela.

Pour la question des vêtements, j’ajoute que Divergenres organise une fois par mois des événements appelés le Garde-Robe où vous pouvez aller chercher des vêtements à contribution volontaire (donc vous donnez ce que vous pouvez, si vous n’avez pas d’argent, ce n’est pas un problème). C’est un environnement inclusif et c’est une bonne manière d’avoir des vêtements très peu chers, et même de rencontrer des gens! Aussi, dans les friperies, les employé-es en général portent peu attention à si vous être dans une section “pour hommes” ou “pour femmes”, ça peut être une autre manière d’avoir des vêtements pour changer son expression de genre. Pour la question des relevés que tes parents surveillent, j’imagine que si vous payez comptant ça ne sera écrit nulle part. Est-ce que les autres adultes qui vous supportent pourraient aider un peu? C’est vraiment beau de voir que ta copine et toi essayez d’aider à faire des vêtements et même créer des accessoires d’affirmation de genre sur mesure! Ça doit être beaucoup de travail!

Justement, pour ce qui est de toi, ton besoin de te reposer est légitime et n’est absolument pas égoïste! Tu mets visiblement beaucoup de temps et d’énergie à t’occuper de ton frère. C’est tout à fait louable, mais il ne faut pas te brûler. C’est normal d’être fatigué et c’est normal de vouloir prendre soin de toi. Gardes toi du temps pour toi, pour tes loisirs, tes amitiés. En redirigeant ton frère vers des ressources, vers les autres personnes de votre famille qui sont vos allié-es, vers des nouveaux-elles ami-es qu’il pourrait rencontrer dans les événements des organismes, il ne sera pas seul pendant ce temps-là. Ça a l’air énorme les efforts que tu mets, c’est génial mais si tu t’épuises, ça ne sera pas d’avance, et puis c’est primordial que toi aussi tu te sentes bien.

Concernant la piscine, je ne peux pas prévoir comment ça va se passer mais je vous souhaite que ça se passe bien! Il serait judicieux d’y aller un jour de semaine à une heure où il y a peu de gens pour débuter, pour que ton frère s’habitue et qu’il y ait moins de risques. Effectivement, les espaces publics ne sont pas exempts de violence et on ne peut pas prévoir comment les gens vont réagir. Toutefois, les gens sont de plus en plus conscients des enjeux vécus par les personnes trans, y compris ceux des vestiaires. J’ajoute que, même si ce n’est pas ce que vous cherchez, il existe des piscines qui ont des vestiaires non-genrés.

J’espère que ma réponse va pouvoir vous aider. 

Bonne chance à vous deux et merci à toi de t’occuper de ton frère, mais n’oublie pas de prendre soin de toi!

N’hésite pas à nous redonner des nouvelles de comment se passent les choses ou à nous envoyer d’autres questions 🙂

Au plaisir,

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