Salut Ellie,

Tout d’abord, je te félicite d’être sortie de chez toi avec une présentation de genre féminine. Ce type de moment est important. C’est à la fois un tout petit geste, une étape pour avancer vers ton but, et un pas de géant parce qu’il t’a probablement fallu beaucoup de courage et de volonté pour en arriver à le faire. Dis-toi que c’est avec l’accumulation de ces moments que tu arriveras à avancer.

Avant d’aborder ta question principale, j’aimerais adresser quelques éléments que je vois à travers ton message. Ce sont des pensées relativement communes et j’espère te rassurer en te disant que tu n’es pas la première à les avoir. 

La première est la préoccupation de ne pas obtenir un passing complet. Je l’ai adressé dans la réponse à ta question précédente, mais je ne sais pas si tu as eu la chance de la lire avant d’envoyer la question ici présente. Dans ce texte, ce que j’essaie de dire, c’est qu’une personne n’est pas obligée d’atteindre une apparence parfaitement féminine (dans le cas d’une femme transgenre) pour être valide et belle. C’est une croyance et un ressenti difficile à déconstruire, j’en conviens, mais tu te sentiras mieux dans ta peau si tu arrives à le faire. Donne-toi le temps d’y arriver, ce n’est pas quelque chose qui se fait en claquant des doigts. J’ajouterais aussi que 35 ans, ce n’est pas si vieux pour faire une transition : plusieurs l’ont fait beaucoup plus tard, parfois à 60 ans et plus, et elles se sentent très bien aujourd’hui.

L’autre est que je sens beaucoup de découragement dans ce que tu m’écris. Ça aussi, c’est normal. Même quand un processus de questionnement ou de transition va bien, il y a tout de même des hauts et des bas. Le meilleur moyen de passer à travers les moments les plus difficiles est de trouver des gens avec qui échanger sur le sujet. Que ce soit une communauté de personnes trans qui se réunissent ensemble (tu peux regarder ici pour t’aider à en trouver), des groupes de discussion en ligne où tu peux lire les commentaires des autres ou interagir toi-même, des ami·es qui t’écoutent vraiment et t’offrent du support ou des rencontres avec un·e thérapeute transaffirmatif·ve (la ressource suivante peut t’aider), il est important de ne pas rester seule face à tout cela.

Ceci étant dit : ta question. Tu veux savoir s’il est possible de vivre publiquement en tant qu’homme et de faire passer ton identité de genre trans pour du travestisme. Il n’y a pas de réponse simple et j’ai envie de te dire oui … et non. Je m’explique.

Dès le départ, plusieurs personnes ne comprennent pas la nuance entre le travestisme (porter des vêtements associés à un « autre genre » tout en s’identifiant au genre qu’on nous a assigné à la naissance) et la transidentité (se sentir être d’un genre autre que celui qu’on nous a assigné à la naissance). Pas plus, d’ailleurs, qu’elles ne comprennent la différence entre ces deux réalités et la drag (un art performatif qui présente une version volontairement exagérée et théâtrale des traits d’un genre et qui peut être accompli par des personnes cis et trans), un sujet très présent dans les médias dernièrement. Les gens qui amalgament toutes ces choses ensemble vont donc te percevoir de la même manière, ne voyant dans leur tête qu’un homme qui s’habille et se présente de manière féminine. Bien sûr, iels ont tort et leurs croyances sont basées dans l’ignorance et les traditions, mais mon point ici est que cette nuance leur échappera probablement complètement. 

Oui, il est vrai que certaines personnes vont présenter au monde une façade qui cache un peu leur réalité tout en se permettant d’exprimer en partie ce qui les habite. Ce que tu proposes peut donc être une telle façade et ce serait quand même probablement mieux que te cacher complètement. Cette option te permettrait d’exprimer ton côté féminin et pourrait t’aider à te sentir mieux tout en évitant ce qui semble t’inquiéter beaucoup, c’est-à-dire la crainte que tu as, si j’ai bien saisi, face à la transition médicale.

D’un autre côté, je dois dire que pour plusieurs, le sentiment de féminité qui se trouve en elles nécessite plus que le port occasionnel de vêtements féminins. Je ne présume pas de te dire si c’est ton cas, mais quand je lis que tu n’as « pas envie de faire le mec » ou que tu te « sens bien en femme », par exemple, je crois y voir un ressenti profond de ne pas être une personne masculine. Dans un tel cas, il est possible que plus tu exprimes ta féminité, moins tu veuilles être perçue et traitée comme un homme. Si c’est le cas, il est fort possible que le travestisme ne soit pas suffisant pour que tu te sentes bien, à long terme.

Il est donc possible que ce soit suffisant pour toi, ou pas. Et il est aussi possible que ce soit une étape utile dans ton processus personnel pour comprendre ce que ton sentiment de genre signifie pour toi. L’important, c’est qu’ultimement, ce que tu fais corresponde à qui tu te sens être réellement. Pour plusieurs, la souffrance associée à se cacher et ne pas pouvoir réellement être soi-même est bien plus grande que la souffrance associée à être ouvertement transgenre (qui est principalement liée à la discrimination). C’est à toi de prendre tout cela en considération pour faire un choix qui te va à toi.

Si cela peut t’aider, je t’invite à voir ce que tu vis présentement comme un processus. Il n’y a pas de solution rapide et il est fort possible qu’en avançant tu apprennes des choses sur toi et que tu ajustes ce que tu fais en conséquence. Mon impression, pour ce qu’elle vaut, est que tu as un fort sentiment de féminité en toi, mais aussi une très grande anxiété de ne pas pouvoir réussir à te sentir belle et bien dans ta peau. Si c’est le cas, crois-moi, c’est un ressenti très valide et très commun pour une femme trans dans le monde d’aujourd’hui. Avance dans ton processus à ta vitesse tout en gardant en tête que tu es valide. 

Pour terminer, je veux que tu saches qu’être ouvertement une femme trans n’est pas une promesse de finir ta vie seule. Disons-le franchement, trouver une relation est difficile pour toustes, qu’on soit cisgenre ou transgenre. Je connais un grand nombre de personnes trans qui ont une vie amoureuse et sexuelle active et positive. Oui, iels rencontrent parfois des problèmes, mais tous les humains en rencontrent. Les relations entre personnes trans sont une option plus sécuritaire pour certaines, par exemple, mais d’autres arrivent à se trouver des partenaires de tous les genres et types imaginables. Et ces personnes ne sont pas seulement celles qui ont un excellent passing ou qui ont fait une transition en étant jeunes. On peut observer, avec les statistiques, un facteur générationnel. Les plus jeunes sont généralement de plus en plus ouverts d’esprit et de moins en moins habités par des préjugés désuets. À 35 ans, tu es loin d’être dans la pire situation à ce niveau. 

Et tant qu’à parler de faire des rencontres en tant que personne trans, j’aimerais adresser quelque chose que tu as mentionné indirectement. Tu dis, à propos des hommes qui démontrent un intérêt pour toi, qu’il « est impossible d’avoir une discussion normale avec eux ». Il est fort probable que ce soit parce que leur intérêt pour toi est une forme de fétichisme. Ici, au Québec, on les appelle des chasers (le mot anglais pour chasseurs). Je ne sais pas si le terme est le même en France, mais le comportement l’est assurément. Ce que ce type d’homme recherche, c’est un fantasme, une expérience. Leur intérêt est pour ce qu’ils t’imaginent être et non pas ce que tu es réellement. Si tu en rencontres, je te recommande fortement de les éviter ou du moins de faire très attention, parce que ce ne sont pas toujours les gens les plus respectueux des autres ou de leur consentement. Bien sûr, je n’affirme pas qu’aucun homme ne peut être attiré par une femme trans et avoir un réel intérêt pour qui elle est. Il y en a et il est tout à fait possible d’avoir une relation saine et agréable avec un homme. Il est d’ailleurs possible que parfois la conversation avec les mecs ne t’intéresse pas non pas parce que ce sont des chasers, mais parce que leurs personnalités ou leurs intérêts ne te correspondent pas. J’ajouterai enfin que bien que tu n’aies pas encore rencontré de femmes intéressées à toi, elles existent. J’ai récemment lu un article fort intéressant au sujet de ce que les femmes lesbiennes pensent des femmes trans. Fondamentalement, ces femmes ne sont pas massivement contre l’existence des personnes trans (le contraire serait un mythe) et même qu’elles sont plus tolérantes et acceptantes que le reste de la population. 

Difficile ne signifie pas impossible. Donne-toi le temps de te comprendre toi-même et de te sentir bien dans qui tu es.  

Sophie (elle/she), bénévole pour AlterHéros