(Témoignage) Un coeur portugais au Québec

La fin de 2005

Aujourd’hui 31 décembre 2005, j’écris ma triste peine. J’ai 21 ans, je suis un gars portugais et je n’ai pas encore annoncé à mes parents que je suis homosexuel.

À la fin de l’année 2005, voilà que j’amorce mon témoignage. Qu’est-ce qui m’a poussé à le faire? Simple, mon père m’a demandé pour qui je voterai aux prochaines élections fédérales du 23 janvier 2006. Plus précisément, le résultat de cette conversation, ou plutôt, du monologue auquel j’assistais. Mon père m’a expliqué qu’il envisageait de voter pour Stephen Harper et ce, parce que ce dernier défend des valeurs qu’il juge primordiales. Encore là, j’étais capable d’accepter son point de vue, mais j’ai eu de la difficulté avec le peu de respect qu’il portait à mon droit de parole. Alors qu’il parlait, je l’écoutais, mais lui n’en faisait pas autant pour moi. Toutefois, ce n’était pas grave puisqu’il est mon père et qu’il a le droit paternel sur moi. Un malaise s’est emparé de moi, un genre de crispation au ventre, alors que mon père abondait dans l’idée de montrer son opposition aux homosexuels, au mariage entre conjoints de même sexe et à l’émancipation de la femme. Il trouvait aberrant la liberté que les gens se « permettaient » et la brisure du sens familial traditionnel. Les gens, pour lui, n’ont pas assez de foi en Dieu et son oeuvre, et moi, en tant que fils, je n’ai pas accepté son message d’amour et de sacrifice pour Lui.

Pendant tous ses propos, je me suis forcé à rester impassible et respectueux de sa pensée. Je lui ai fait part de mon interrogation à propos de l’amour inconditionnel que les hommes devraient se vouer selon la Bible et du manque d’égalité entre les hommes si on doit respecter une tradition où la femme doit rester à la maison. Comment s’appelle cette justice dans la société où les non catholiques valent moins que les catholiques et où le clergé est au-dessus du peuple? Pire encore, où est cet Amour d’inclusion dans une religion qui condamne les minorités visibles et qui prône ces valeurs comme force de loi sur l’humanité? Je savais que mes propos dérangeaient mon père et qu’il était préférable d’arrêter là. De son côté, il a continué de parler des fondements moraux de la religion.

Pour tenter de mettre fin à cette douloureuse situation, j’ai tenté de le ramener au sujet initial. Je lui ai rappelé que le programme politique de monsieur Harper ne se limite pas à la religion et qu’il faut comparer tous les partis politiques. Pas plus de dix secondes ont suffi à mon père pour revenir encore sur la religion et et j’ai dû rester silencieux pour ne pas le couper et provoquer une dispute dans la maison. Après un certain moment, le sujet a été clos et mes parents m’ont souhaité une bonne année, alors qu’ils partaient chez la belle famille pour le nouvel an. Il était déjà planifié que je passe la nouvelle année avec des amis, je suis donc resté encore un peu à la maison. J’en ai profité pour débuter à écrire mon « moi » sur papier.

Maintenant que j’étais seul, j’ai écrit ce qui brûlait le bout de mes lèvres quand je parlais avec lui. « Comment papa, peux-tu me dire une telle chose?» La première chose qui m’est venue à l’esprit. « À quel point peux-tu me reprocher de ne pas connaître les messages et les paraboles de la Bible alors que j’étais un des meilleurs élèves à la catéchèse du dimanche à l’église Santa-Cruz. Même que l’un des catéchistes voulait que je devienne prêtre. » J’allais à la catéchèse portugaise à chaque semaine, où les enfants allaient après chaque célébration religieuse. Je leur ai pourtant toujours fait honneur en exprimant les valeurs morales qu’ils m’avaient apprises.

« À l’école, j’ai toujours été exemplaire pour mon comportement et je tentais toujours d’obtenir les meilleures notes. Combien de vos amis ont dit que j’étais le fils modèle et bien éduqué que tout parent voudrait? COMBIEN? » Je souhaitais être le fils parfait, leur fils parfait.

« J’ai tout fait pour tenter de faire le bien autour de moi, d’appliquer les valeurs de droiture et de compassion que vous m’aviez inculquées. Tout ça, je l’ai fait pour vous. Je souhaitais que vous m’aimiez toujours malgré ma différence: un homosexuel, pêcheur selon l’Église. » Je crois que je voulais m’assurer l’amour inconditionnel de mes parents.

J’ai grandi, j’ai mûri et j’ai accepté avec grande difficulté mon attirance pour les autres hommes. Ne voilons pas la vérité, j’ai longtemps eu honte de moi-même et de mon incapacité à être parfait aux yeux de mes parents. Il m’en a pris du temps et de précieux amis avant de m’accepter comme personne et de réaliser que j’avais le droit, moi aussi, de vivre heureux. Ce sont des amis qui m’ont ouvert les yeux, qui m’ont fait comprendre que je n’étais pas un monstre ni une atrocité, mais simplement quelqu’un avec qui il est agréable de parler. J’étais un ami riche en différences comme tout un chacun, mais un ami auquel on tient. Je suis tellement heureux de connaître des gens formidables parce que ma vie prend un sens avec eux autour de moi. Je ne suis pas uniquement homosexuel, je suis quelqu’un à Montréal qui a le droit de collaborer pour une meilleure société.

Pendant l’été 2005, ma plus jeune soeur m’a montré son support. Lorsque je lui ai annoncé, elle a simplement répondu : « C’est correct, je ne veux pas qu’on en parle », alors qu’elle avait souvent tenu des propos homophobes, comme le reste de la famille. Après quelques jours, nous avons développé une relation plus étroite qu’auparavant et, quelques mois plus tard, elle m’a serré dans ses bras en me disant qu’elle n’échangerait pour rien au monde son frère. Vous savez, c’est dans ce genre de situation qu’on saisit que tous les efforts qu’on a fait dans la vie, elle nous les rend au-delà de nos espérances, à travers l’amour sincère de quelqu’un. Elle a toujours gardé mon secret… Merci.

Un nouveau souffle, une nouvelle année

Voilà que la nouvelle année est passée et que j’ai eu le temps de réfléchir à ma situation. J’ai retrouvé un petit texte que j’avais écrit en octobre 2004:

Depuis que je suis jeune, je me suis détesté pour celui que j’étais : j’avais une attirance pour les gars. Je ne comprenais pas pourquoi je ne pouvais pas être normal, vivre comme tous les autres et passer inaperçue dans mon petit chez moi. Toute ma vie, on m’avait dit que c’était mal l’homosexualité, mal d’aimer un autre homme et tout ce qui s’y rattache. Entendre parler d’homosexualité me rendait nerveux au plus haut point et j’avais vraiment peur de me mêler à quoi que ce soit qui s’y reliait. Plus j’essayais de me comprendre, plus une certaine déception grandissait en moi par rapport au monde homosexuel. Je refusais cette culture si différente par ses manières de vivre, par ses manières exubérantes d’être et par la proximité des contacts que les gens entretiennent. Également, le fait d’avoir un défilé gai, des Jeux Gais et toutes sortes d’évènements du genre, où les couleurs et les différences de cette communauté étaient mises en valeur, ne faisaient que marginaliser les homosexuels à mon avis. D’autres questions encore m’épouvantaient comme l’emphase mise sur la sexualité et le peu de place accordée aux relations à long terme dans la vie de couple.

Toutefois, je comprends un peu mieux cette communauté. Oui, peut-être que des évènements accentuent l’impression de contraste avec la société en général, mais ce genre d’évènement permet à des gens partageant des différences de se sentir acceptés et de connaître d’autres personnes. Ces évènements facilitent l’acceptation de soi et le sentiment d’appartenance à un groupe partageant avec soi des différences qui ne sont pas toujours bien acceptées dans la communauté. Bien sûr, le défilé affiche des couleurs flamboyantes et des clichés qu’on se fait des homosexuels, mais il n’y a pas que ça. Ce genre d’évènement ne montre qu’une partie de la communauté homosexuelle : il y a une partie où des gens sont plus discrets et ne veulent que vivre acceptés par la société. Ce genre de personne ne veut que vivre et pouvoir aimer quelqu’un, peu importe son sexe, sans peur et sans gêne. On a tous connu des êtres qui nous ont aimé au courant de notre vie, que ce soit des parents, des amis ou des collègues. Alors, pouvoir le faire autant pour une personne qu’on apprécie sans égard à son sexe est un acte qui devrait être légitime et inconditionnel. Avoir le droit d’aimer, est-ce un droit dont seuls quelques-uns peuvent jouir?

En relisant ce que j’avais écrit, je me rappelle encore mon début d’acceptation en tant qu’homosexuel. J’amorçais ma compréhension de la vie d’un marginal, celle d’un être qui découvre un monde étrange et la raison d’être de cet univers. Toutefois, je suis conscient aujourd’hui que j’avais oublié quelque chose d’essentiel: ma vie. Je crois que j’ai fait abstraction de mes racines, de ma culture natale et de tout ce que j’avais appris des gens qui m’ont accompagné et cotôyé à travers le passage de mes anniversaires. Je me disais fils du Québec, par le fait que cette belle province représentait une idéologie juste à mes yeux et l’espoir d’une vie meilleure. Je ne peux me targuer de bien connaître cette province, mais j’y ai souvent côtoyé des gens qui ont dégagé une telle chaleur humaine que j’ai eu le goût, moi aussi, de battre d’un même pouls avec ces gens d’ici. Mais à vouloir oublier le Portugal en moi, je voulais nier une partie de ma vie et de mes fondements.

J’ai trop souvent ressenti une hésitation pour les valeurs d’ici, non pas parce que je les trouvais mauvaises, mais plutôt parce que j’en avais d’autres. Un combat intérieur s’en suivait toujours, avec seule possibilité de terrasser mes acquis familiaux. Je refusais de créer un équilibre entre la culture d’ici et celle du Portugal, un refus catégorique… peut-être par peur du rejet de mes parents et de leur culture, peut-être pour ne pas être le premier à confronter les tabous de ma communauté. Quoi qu’il en soi, la brisure est trop douloureuse pour moi et je ne pourrai connaître de véritable paix que lorsque je me serai confié à mes parents. Peu importe leur réaction, elle n’égalera pas mon tourment actuel. J’ai l’impression de constamment leur mentir, de les trahir, d’abuser de leur confiance, de ne pas m’assumer comme adulte et de bien d’autres maux de l’âme. Je veux vivre ma vie, une que je pourrai enfin dire authentique.

Ma résolution sera de rétablir l’harmonie avec moi-même. Ma famille est importante pour moi et j’ai de l’affection pour chacun des membres qui la compose et ce, jusqu’à la fin de ma vie. Toutefois, je tourne mon regard vers la nouvelle année qui s’amorce et j’ai envie de prendre mes distances. Je souhaite être maître de mon existence, de pouvoir la partager avec la personne que j’aime et de prendre ma place dans cette société. J’ai des valeurs différentes, mais j’espère qu’elles seront une nouvelle richesse pour les gens d’ici. Je veux débuter un nouveau chapitre de ma vie, où je relaterai mes découvertes et mes actions. Mais plus précisément, j’y raconterai l’histoire d’amour d’un coeur portugais pour le peuple du Québec.

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