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28 décembre 2018

J'ai l'impression de vivre une crise identitaire, est-ce liée à une dysphorie de genre ?

Marie-Édith Vigneau

Bonjour AlterHeros,
Je suis un peu confus. Je ne sais pas si vous pouvez m’éclairer. Je vais expliquer depuis le début pour que vous puissiez comprendre. Je vis en ce moment une troisième « crise » identitaire. J’ai eu ma première « crise » identitaire lorsque j’étais très jeune. Je ne me souviens plus du tout de l’âge, mais avant de dormir je souhaitais ardemment me réveiller le lendemain matin dans le sexe opposé. J’ai un vague souvenir à la petite école où les filles étaient à gauche et les garçons à droite pour faire des activités, et j’étais naturellement porté à m’intégrer aux filles. À l’école secondaire, je n’avais pas de problèmes identitaires, j’étais néanmoins différent ! Je m’entrainerais énormément et j’ai appris à jouer de la clarinette ! J’étais réservé et j’étais le plus souvent avec les adultes. Ma mère est décédée quand j’étais adolescent, mon père était présent, mais absent en même temps.
Ma deuxième « crise » identitaire s’est déclenchée lorsque j’étais en couple. Ma copine du temps se sentait dépassée par mon comportement (et moi aussi). J’étais en sanglot et je disais « je ne sais plus qui je suis ». À cette période, j’avais commencé à m’automutiler. Ça me soulageait d’une angoisse indescriptible. J’ai consulté en urgence une psychologue aux privées, malheureusement j’avais dû arrêter après environ 7 séances, mais une fois encore la question identitaire était revenue. Le comportement d’automutilation s’est aggravé jusqu’à ce que je n’eusse plus le choix d’en parler d’urgence à l’hôpital.
Il s’est passé environ 6 ans entre aujourd’hui et la deuxième « crise » identitaire. Le début de ma trentaine a été marqué par un événement qui m’a presque coûté la vie (j’évite les détails) et j’ai dû avoir une psychothérapie pour me rétablir de cet événement. La psychothérapie liée à l’événement est maintenant terminée, mais devinez quoi, la question identitaire est réapparue, et j’ai décidé d’aller jusqu’au bout du processus avec mon psychothérapeute.
Si je vous écris, c’est que je suis mort de trouille ! Je suis un beau jeune homme qui pourrait faire la couverture de magazines. J’ai du succès dans tout ce que j’entreprends. Les gens me voient quelques fois comme un « modèle » d’inspiration du genre masculin. Les femmes adorent ma sensibilité. Je me vois comme un père de famille plus tard.
Je me sens pris au dépourvu. Il y a deux semaines, pendant plusieurs minutes, je n’étais plus un homme, mais une femme dans mon esprit ! Je me suis demandé ce qui se passait quand « je suis revenu à moi ». Je me sens forcé par la vie à subir « ce problème », je ne le cherche pas, mais on dirait qu’il me cherche. J’ai peur, j’ai vraiment peur. Mes amis et ma famille ne comprendront jamais ce qui m’arrive.
J’essaie de me convaincre que c’est peut-être autre chose, que je suis peut-être homosexuel vu ma grande sensibilité et vu que je suis également courtisé par des hommes, mais ça ne semble pas être le cas, malgré la confusion identitaire.
Je crois correspondre au phénomène de dysphorie de genre. Je vais le savoir de manière plus définitive bientôt, mais j’ai vraiment peur. Se pourrait-il que cela soit autre chose ? Comment accepter quelque chose qui peut changer notre vie à jamais ? Comment savoir si le problème s’en ira si mon corps devenait celui d’une femme ? Pourquoi est-ce que j’ai ce problème lorsque je fantasme d’une vie hétérosexuelle épanouie ? Je suis vraiment mêlé. J’ai de la misère à imaginer que ça puisse m’arriver.
David
 

Salut David!
Merci de nous écrire. Désolée du délai. J’espère que tu passes de belles Fêtes. Je sais que ce n’est pas toujours une période agréable lorsqu’on vit de grands questionnements comme ceux que tu traverses actuellement.
Tu parles, dans ton message, de crises identitaires, d’être différent, de ta santé mentale et d’un grand sentiment de peur qui t’habite en ce moment. Tu nommes ton identité de genre ainsi que ton orientation sexuelle.
Je souhaite d’abord défaire quelques perceptions. Cela n’invalide pas ton sentiment d’être différent, ni ton cheminement, d’accord?
Simplement, plusieurs personnes croient à tort que les garçons et les hommes qui ont des activités plus traditionnellement féminines (jouer de la clarinette, par exemple), qui ont perdu un parent (le père, particulièrement), qui sont plus sensibles ou réservés que ce qu’on peut penser d’un modèle plus traditionnellement masculin ou encore qui se font courtiser par d’autres garçons / hommes seraient homosexuels ou encore des femmes trans. Ce n’est pas nécessairement le cas; certains hommes hétérosexuels et cisgenres (non trans) ont ces mêmes parcours.
Nous ne sommes pas à blâmer si nous y avons déjà cru; pendant des décennies, certains professionnels de la santé masculinistes ayant accès à de grandes plateformes de prise de parole ont répandu ces croyances.
Ton identité de genre n’a qu’un seul baromètre: toi-même. Elle ne peut être déterminée que par toi, par ton sentiment profond d’appartenir à un genre ou à un autre (ou encore à aucun genre). Tu es la meilleure personne pour découvrir qui tu es; ces auteurs et chroniqueurs n’ont rien à voir là-dedans ! 😉
Aussi, le fait que tu ne sois pas en questionnement au sujet de ton orientation sexuelle ne change rien à ton identité de genre. Ce sont deux concepts distincts. Tes fantasmes d’une « vie hétérosexuelle » sont bien valides, mais n’indiquent pas ton identité de genre (homme, femme, non-binaire ou autre).
Je suis contente de savoir que tu es en processus de psychothérapie. Il se peut effectivement que tu vives de la dysphorie de genre. Je suis toutefois surprise que tu mentionnes la dimension corporelle en fin de message, puisque tes questionnements identitaires semblaient plutôt être axés sur une reconnaissance sociale – au-delà de ton enveloppe corporelle!
À toi de voir si tu souhaites entreprendre une transition. Il y a toutes sortes de chemins possibles; ce « corps de femme » dont tu parles n’est peut-être pas un idéal pour toi après tout. Certaines femmes trans (personnes assignées homme à la naissance) choisissent de ne pas entreprendre de modifications corporelles majeures (chirurgies, par exemple) et de simplement modifier leur apparence pour mieux correspondre à ce qu’on attend traditionnellement des femmes au niveau social. Tu peux aussi choisir d’entreprendre une hormonothérapie, de faire modifier tes documents légaux, ou toutes ces réponses… et bien sûr, il est aussi possible d’avoir recours à des chirurgies si c’est ce que tu désires.
Désormais au Québec, il n’est plus nécessaire d’avoir une chirurgie d’affirmation de genre au niveau des organes génitaux pour pouvoir modifier nos documents officiels d’identification (permis de conduire, par exemple). Je tiens à t’en informer puisque les changements définitifs au niveau corporel semblent te causer beaucoup de stress.
J’espère que ma réponse saura enlever un peu de poids de sur tes épaules. Je te souhaite bon succès pour la suite des choses. Merci encore de nous avoir écrit et n’hésite surtout pas à nous recontacter si tu en as envie ou besoin, que ce soit pour nous poser d’autres questions ou pour nous donner des nouvelles.
Bon courage,
Marie-Édith,
B.A. sexologie – DESS travail social

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