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16 novembre 2003

Que savons-nous de l'histoire du SIDA en 2003 ?

Que savons-nous de l’histoire du SIDA en 2003 ? Où situe-t-on le début du SIDA ?

AlterHéros

L’histoire scientifique officielle du sida commence à l’été 1981. Des journaux médicaux spécialisés rapportent alors des cas d’un rare type de pneumonie (PCP) et du sarcome de Kaposi (KS) chez plusieurs hommes gais vivant dans des grandes villes états-uniennes. Ces maladies sont presque inexistantes dans la population en général puisque le système immunitaire est habituellement capable de les combattre facilement. Leur apparition chez ces hommes gais, qui semblaient jusqu’alors en parfaite santé, suggère que quelque chose dans le mode de vie de ce groupe spécifique contribue à une diminution du système immunitaire. On nomme ce syndrome le GRID (gay-related immune disorder).

Peu de temps après, le sujet apparaît dans les journaux conventionnels avec des titres mentionnant « la peste des gais » ou « le cancer des gais »… on ne sait rien de la maladie sinon qu’elle s’attaque aux gais et qu’elle tue. En 1982, plus de cas surgissent, et cette fois dans d’autres communautés : chez des UDI (utilisateurs-trices de drogues par injection), des hémophiles, des Haïtiens et des receveurs de transfusion sanguine. Le terme SIDA (syndrome d’immunodéficience acquise) commence à être utilisé, mais on ne connaît toujours pas la cause de la maladie et plusieurs hypothèses sont envisagées. Certains, par exemple, vont même jusqu’à affirmer que les relations anales elles-mêmes en sont la cause, que c’est un châtiment de Dieu sur les pécheurs homosexuels, ou encore que c’est un complot de la CIA contre les hommes gais. Mais la découverte de cas chez des personnes ayant reçu une transfusion renforce l’hypothèse d’un agent transmissible. Au Québec, les Haïtiens sont le groupe le plus touché durant les premières années de l’épidémie, mais à partir de 1984, et jusqu’à aujourd’hui, ce sont les HARSAH (hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes ) qui prennent la première place.

VIH, © Russell Kightley Media Le virus responsable du sida a été isolé en 1983, mais n’a été nommé officiellement « VIH » (virus d’immunodéficience humaine) qu’en 1986, après une bataille de mots entre différents laboratoires de recherche. On acquerra beaucoup de connaissance sur le virus dans les années qui suivirent: sa biologie, la façon dont la maladie se développe, l’existence de plusieurs souches différentes en constante évolution (regroupées sous les noms de VIH-1 et VIH-2), le fait qu’on peut en être porteur pendant plusieurs années avant de développer la maladie, les modes de transmission, etc. De plus, le spectre de maladies associées au sida s’élargit.  C’est que l’infection au VIH est fort complexe. Comme le virus s’attaque au système immunitaire et affaiblit patiemment nos défenses face aux autres infections, on ne meurt pas vraiment du sida lui-même, mais des maladies qu’on peut attraper si on a le sida. Il était donc difficile à l’époque, vu l’inexistence d’un test de dépistage du VIH abordable, d’affirmer qu’un patient était mort ou souffrait du sida.

Le test ELISA, qui recherche dans le sang des anticorps produits par le corps en réaction à la présence nuisible du VIH, est commercialisé en 1985. À partir de là, on peut se faire tester et apprendre son statut sérologique, mais comme il n’existe encore aucun médicament, les perspectives d’avenir sont effrayantes, on ne peut pas savoir ni si ni quand on développera la maladie. Dans ces premières années, des groupes d’amis entiers sont décimés dans la communauté gaie et des personnes célèbres, comme l’acteur hollywoodien Rock Hudson et l’historien-philosophe français Michel Foucault, s’éteignent aussi amenant la question du sida dans les médias de masse. On comprend que le virus se transmet sexuellement et des groupes communautaires commencent à faire la promotion du sécuri-sexe ou « safe(r)-sex ». Le premier traitement antirétroviral, l’AZT, qui tente d’empêcher la reproduction du virus, est découvert en 1987. Il suscite à la fois espoir et colère. En effet, il existe enfin un médicament qui, pense-t-on, améliorera de façon significative les chances de survie des personnes infectées, mais les coûts du traitement s’élèvent à environ 10 000$ par année pour une seule personne et ses résultats s’avèrent finalement peu concluants. C’est donc cette même année qu’est créée, à New York, l’organisation ACT UP qui a pour but de mettre fin à la crise du sida, c’est-à-dire faire réagir le pouvoir politique jusqu’alors assez apathique, hausser la conscience sociale de la population envers les enjeux entourant le sida, faire des pressions sur les compagnies pharmaceutiques et faire de la prévention.

Ce que le sida est plus qu’une simple maladie.  Elle soulève de nombreuses questions sociales, économiques et culturelles. Dans les premières années de l’épidémie en Amérique du Nord et en Europe de l’Ouest, les groupes à risque sont minoritaires et/ou marginaux. À part les personnes ayant été infectées par des transfusions sanguines, qui sont vues comme de pauvres victimes, les autres, et les hommes gais surtout, sont souvent tenus responsables de leur condition. Les gouvernements conservateurs de l’époque n’envisagent donc pas d’utiliser des fonds publics pour faire des recherches ou de la prévention au profit de ces groupes marginaux. Certains trouvent intolérable qu’on veuille parler ouvertement de sexualité et d’actes (homo)sexuels, bien que cela soit nécessaire à la prévention du sida.  Ils craignent que la « publicisation » des relations homosexuelles et de l’utilisation de drogues par injections n’encourage plus de personnes, et surtout plus de jeunes, à les pratiquer. C’est ainsi qu’on peut voir le lien qu’entretiennent l’homophobie généralisée dans la population, la peur de la sexualité, la délinquance et la lenteur de la réaction officielle face à l’épidémie du VIH/sida. De même, on peut voir l’importance des groupes civils et communautaires qui ont mis la lutte au VIH/sida dans l’agenda des gouvernements et qui continuent à lutter pour une meilleure accessibilité aux médicaments, ici et dans les pays pauvres.

Depuis le début des années 90, on a découvert plusieurs nouveaux médicaments, qu’on doit prendre en combinaison avec d’autres, souvent en groupe de trois, pour augmenter leur efficacité : tri-thérapies et multi-thérapies. Mais ces médicaments ne permettent pas de guérir du sida, ils ne font qu’allonger la période entre l’infection au VIH et le moment de la mort, tout en engendrant des effets secondaires pénibles et quotidiens. Il n’existe aucun vaccin pour contrer l’infection.

Ce court résumé de l’épidémie tient pour l’Amérique du Nord, l’Europe de l’Ouest et l’Australie, mais le sida frappe partout, et la situation dans les pays en développement est fort différente. Les premiers cas de sida sont apparus en même temps en Afrique sub-saharienne et en Amérique latine que dans les pays industrialisés et riches (un peu plus tard sur le reste de la planète), mais la réponse y a été beaucoup moins efficace vu le manque d’argent, le manque d’organisation dans la société civile et le refus de plusieurs gouvernements d’adresser la question. Outre la situation économique et politique, les groupes de personnes touchés sont aussi différents. La maladie s’y est surtout répandue par des transfusions sanguines (qui n’ont pas été testées pendant longtemps, notamment en Chine) et par des relations hétérosexuelles non-protégées. Ainsi, si les femmes formaient jusqu’à assez récemment une proportion réduite des personnes infectées par le VIH en Occident, elles représentent aujourd’hui environ 58% des cas en Afrique sub-saharienne et 50% à l’échelle mondiale.

D’après l’ONUSIDA, il y aurait eu 20 millions de morts causées par le VIH/sida depuis 1981, dont 3,1 millions en 2002 seulement. On estime à 42 millions le nombre de personnes qui vivent avec le virus en 2003. Le rythme des nouvelles infections ne diminue pas; en 2002 il y en avait 14 000 par jour (95% dans des pays en développement) dont la moitié ont entre 15 et 24 ans.  Si le pourcentage des adultes atteints au Québec est inférieur à 1% (mais supérieur à celui des autres provinces canadiennes), il est de 39% au Botswana et de 34% au Zimbabwe, dans le sud de l’Afrique.  C’est donc dire que plus du tiers des adultes sont infectés et vont probablement mourir d’ici une dizaine d’années s’ils n’ont pas accès maintenant à des médicaments à prix abordables. Il suffit d’imaginer les effets sur la société (des millions d’orphelins du sida qui vivent dans la rue) et l’économie (toutes ces personnes devenant trop malade pour travailler et donc nourrir leur famille) de ces pays pour comprendre que « le pire de l’épidémie n’est manifestement pas derrière nous ».

Bien sûr, au Québec et au Canada la situation est moins pire, mais les perspectives d’avenir ne sont pas roses pour autant. Le nombre de nouvelles infections a commencé à augmenter depuis 2000, surtout chez les jeunes HARSAH et les jeunes femmes.  52 640 personnes ont reçu des tests positifs au Canada entre 1985 et 2003 ; 87% d’entre eux vivent au Québec, en Ontario et en Colombie-Britannique, surtout dans les grands centres urbains comme Montréal.

Ceci signifie en bref que la lutte n’est pas finie. Il faut continuer à demander plus de fonds pour la recherche de vaccins et de médicaments plus efficaces, l’amélioration de l’éducation sexuelle dans les écoles, la promotion du condom et de pratiques sexuelles et d’injection sécuritaires, l’augmentation des services aux personnes séropositives en région, de même que la distribution de médicaments à prix réduits dans les pays moins fortunés.

Sources:

Ministère de la santé et des services sociaux du Québec
Portrait de l’infection par le VIH et du sida au Québec – Décembre 2002

Santé Canda
Le VIH et le sida au Canada – Rapport de surveillance en date du 31 décembre 2002

Le Programme commun des Nations Unies sur le VIH/SIDA (ONUSIDA) et l’Organisation mondiale de la Santé (OMS)Le point sur l’épidémie de SIDA – Décembre 2002

Mark Harrington (1997).  « Some Transitions in the History of AIDS Treatment Activism: from Therapeutic Utopianism to Pragmatic Praxis » in Joshua Oppenheimer and Helen Rickett (éds) Acting on AIDS: Sex, Drugs and Politics, Londres et New York, Serpent’s Tail, pages 273-286.

S. C. McCombie (1990).  « AIDS in Cultural, Historic, and Epidemiologic Context » in Douglas A. Feldman (éd.) Culture and AIDS, New York, Praeger, pages 9-27.

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