15 janvier 2005

Témoignage: Ne lâchez jamais!

Témoignage:

AlterHéros


C’est la première fois que j’écris un témoignage pour AlterHéros. Je n’ai pas l’habitude de me confier comme ça sur Internet devant plein de personnes que je ne connais pas. Ce qui m’a incité à le faire, c’est en lisant certains des témoignages déjà affichés sur le site. Je me suis rendu compte que malgré les nombreux moments difficiles que j’ai vécu dans le passé, certaines personnes ont vécu ou vivent des choses bien pires que moi. Tout de même, ce sont des souvenirs douloureux et des blessures profondes du passé que je n’ai pas tendance à aborder dans ma vie de tous les jours et avec beaucoup de gens. J’espère que ce témoignage saura inspirer et donner confiance à ceux qui vivent des difficultés, car c’est possible d’être heureux, d’avoir des rêves et des projets. Avec du soutien et notre propre volonté, on peut parfois accomplir des miracles. Ne lâchez jamais!
Mon enfance
Je suis natif de Trois-Rivières, petite ville de la rive nord située entre Montréal et Québec, d’un milieu très modeste. Mes parents ont perdu leurs emplois presque en même temps, au début des années 80 alors que j’étais très jeune. Étant donné qu’ils n’avaient pas tous les deux beaucoup d’instruction (n’ayant pas terminé leur secondaire), les offres d’emploi ne se bousculaient pas aux portes. Alors, ils se sont retrouvés sur le « BS » avec un enfant de 6 ans à élever (moi).
Malgré notre situation financière difficile, je n’ai jamais manqué de rien. J’avais les mêmes jouets que les autres enfants. Aussi loin que je m’en rappelle, j’ai toujours joué avec des jouets « de gars », comme des camions Tonka, des G.I. Joe ou des Transformers. J’ai joué une fois avec des Barbies et j’avais trouvé ça plate. Pour le reste, je me considérais normal comme tous les petits garçons de mon âge.
J’étais un enfant très tranquille et timide mais en même très colérique lorsqu’on me poussait à bout. J’ai piqué mon lot de crises au primaire lorsqu’on me faisait trop chier, je me rappelle même d’avoir frappé quelqu’un en 5e ou 6e année. J’ai trouvé mes premières années du primaire difficile car c’est la période où on s’est le plus acharné sur moi. J’ai commencé à porter des lunettes en 2e année et pendant tout le temps de mon primaire, j’ai été premier de classe (sauf pour une année) alors vous pouvez vous imaginer combien c’étais facile de s’acharner sur le « nerd » de la classe. Heureusement, je me suis très tôt fait des ami(e)s qui étaient là pour moi et qui me comprenaient. Par contre, pour les dernières années du primaire, je garde de très bons souvenirs. J’ai même eu l’œil sur une fille, c’est la seule occasion où je me rappelle d’avoir été attiré par une fille.
Dans l’ensemble, je retiens des bons souvenirs de mon primaire. La période suivante fut beaucoup plus difficile. Quand j’ai quitté l’école Saint-Paul en 1990, j’avais le choix d’étudier soit dans une polyvalente (là où la plupart de mes amis sont allés) ou dans une école privée pour garçons, le Séminaire Saint-Joseph (là où mon père espérait que j’aille). J’étais libre de choisir où je voulais étudier, mais j’ai préféré choisir le Séminaire. Ce fut une des pires gaffes de ma vie!
Les années troublantes du secondaire
D’abord, quand je suis arrivé là bas, à part une ou deux personnes, je ne connaissais personne. Durant mon primaire, je n’avais pas beaucoup changé, j’étais toujours un élève tranquille, timide et colérique. J’ai très vite découvert aussi la distinction des classes sociales. Étant une école privée, la plupart des élèves provenaient de familles aisées. J’ai très vite vu une différence dans la façon où j’étais traité. Je me sentais sous haute surveillance et tous mes faits et gestes pouvaient faire l’objet de moqueries. On s’est moqué de la façon dont je m’habillais, dont je parlais et même de mon nom de famille! Pendant tout mon secondaire, j’ai caché à tous les élèves le fait que mes parents étaient des assistés sociaux. Ça m’a vraiment fait mal car à cause de ce rejet et de ce snobisme, je n’ai pas pu me créer de vrais liens d’amitiés. Les quatre premières années de mon secondaire furent un enfer. Je me tenais toujours seul et je n’avais pas d’amis. On a très vite fait en sorte de faire ressortir la colère en moi. Je me rappelle surtout mon 1er secondaire 2 (j’ai doublé cette année là). Je restais assis à mon bureau et quand je sentais qu’on me poussait trop à bout, je devenais fou de rage, je claquais la porte de mon bureau et je lançais des effaces à ceux qui m’écoeuraient. On m’a alors obligé à consulter un psychologue mais ça m’a plus mélangé que ça m’a aidé. En secondaire 3 et 4, les insultes psychologiques ont continuées et je me suis même fait harceler physiquement aussi. Pendant ce temps, je vieillissais, j’étais rendu à l’âge de la puberté mais je ne pensais pas trop à la sexualité. Je me considérais encore comme hétérosexuel et je ne voyais pas de liens entre mon orientation sexuelle et mon harcèlement. Je n’ai jamais été victime d’insultes homophobes, ça m’a toujours surpris, surtout considérant le nombre d’insultes différentes que j’ai dû subir. Mon secondaire 5 s’est beaucoup mieux passé car entre-temps, j’ai appris à développer des mécanismes de défense face à ces insultes. Aussi, les élèves terminaient leur secondaire et se préparaient à faire le saut au CÉGEP, ils avaient d’autres préoccupations que d’écoeurer les plus « faibles ».
Le réveil au monde
Alors que la plupart de ceux qui m’écoeuraient ont décidé d’étudier au CÉGEP à Trois-Rivières, moi j’ai plutôt choisi le Collège Laflèche (collège privé mixte) pour me séparer d’eux (avec succès)! Mon collégial fut beaucoup plus positif et ce fut une période d’ouverture au monde pour moi. Je me suis rendu compte que je pouvais être respecté tout en étant en moi-même. Cependant, je sentais que quelque chose n’allait pas, c’était comme si une blessure profonde était restée en moi. Mon secondaire avait laissé des séquelles, je m’étais considérablement renfermé sur moi-même et j’étais devenu très craintif dans mes relations sociales. Mais les choses vont changer. Je me rappelle d’un de mes cours d’éducation physique, un gars qui a étudié en même temps que moi au secondaire voulait souvent se mettre en équipe avec moi pour jouer au badminton. J’ai fini par découvrir pourquoi finalement. Je crois qu’il était attiré par moi. Je me rappelle des fois où il se changeait dans le vestiaire et que nous étions les deux derniers à rester. Je me sentais très tourmenté et je n’osais même pas le regarder, car bien souvent il était nu! C’est à ce moment là que réalisé des choses n’allaient pas et j’ai commencé à me poser des questions sur mon orientation sexuelle, c’était en 1997.
Cette année là, mon père a fait installer Internet à la maison. Instinctivement, les premiers sites Internet que je suis allé voir étaient des sites à caractère gai. Pourquoi? J’ai fini par découvrir la réponse. Une photo d’homme nu m’attirait alors qu’une femme nue me laissait complètement indifférent. Mais j’avais de la difficulté à imaginer que j’aurais pu être homosexuel et surtout ce que c’était de l’être. Dans ma tête, c’était impossible. J’avais toujours joué avec des jouets de gars et j’aimais le sport (à ce moment là du moins). Ma vision de l’homosexualité était très stéréotypée. En janvier 2000, j’ai découvert les sites de chat gai de MIRC, il y avait un canal pour Trois-Rivières et je l’ai essayé. Ça m’a permit de connaître certaines personnes qui ont pu m’aider dans mon cheminement identitaire. Après un certain de temps, il a fallu me rendre à l’évidence que j’étais gai. Ce fut très difficile de me l’avouer et surtout de l’accepter. De plus, je savais qu’il me serait difficile de cacher une telle chose à mon père. On m’avait parlé de l’existence d’un bar gai à Trois-Rivières, je me suis dit que je pourrais aller faire un tour question de voir d’autre gais, parce que dans ma tête, c’était comme si les gais n’existaient pas à Trois-Rivières. Finalement, un samedi soir, j’ai décidé d’y aller, mais le problème, ce que je ne sortais jamais le soir la fin de semaine et mon père le savait. Cette fameuse fois, aussi incroyable que ça puisse paraître, c’est la 1ère fois que je sortais dans un bar, j’étais à la fin de ma 1ère année d’université et j’avais 21 ans! J’avais vraiment une vie plate et merdique à ce moment là… À chaque fois que je sortais, j’inventais toujours une excuse comme quoi j’allais chez une amie de l’université qui habitait tout près. J’ai fait ça à quelques reprises mais finalement, je me suis dit que ça ne pouvait pas durer. De toute façon, mon père allait sûrement se douter que je voulais lui cacher quelque chose.
Le dur apprentissage de sa différence
Le lendemain de mon 22e anniversaire, j’ai décidé que c’était le moment de lui dire mais je me sentais trop mal à l’aise pour lui dire face à face. Avant de partir à mon cours, ce que j’ai fait, c’est que j’ai donné une cassette audio à mon père où j’avais enregistré mon message de « coming-out » dessus. Durant mon cours, disons que j’étais mentalement absent car je pensais à mon père en train d’écouter la cassette en imaginant le pire! Je vais toujours me rappeler de sa réaction quand je suis revenu chez moi. Il n’était pas du tout nerveux et c’était comme si rien n’était arrivé. Je n’en revenais pas! Je m’étais fait des inquiétudes pour rien. Ironiquement, je me doutais un peu que mon père ne réagirait pas mal, mais j’étais loin d’imaginer cette réaction de sa part. C’est moi qui a réagit le plus fortement, car je voyais ma façon d’être s’écrouler, je voyais vraiment les choses négativement, j’ai même pleuré (ce qui m’arrive très rarement). C’était comme si le ciel m’était tombé sur la tête, je n’acceptais pas encore très bien mon homosexualité.
Ce qui m’a calmé, c’est lorsque mon père m’a dit : « Sébas, regarde toi dans le miroir… Qu’est-ce que tu vois? ». Je lui ai répondu que c’était moi. Il m’a demandé : « Est-ce que tu vois une différence? Es-tu toujours la même personne? ». Un peu hésitant, je lui ai dit que oui. Alors, il m’a demandé pourquoi que je m’inquiétais. Il m’a dit de vivre ma vie, de ne pas m’en faire avec le reste, que les choses n’allaient pas changer entre moi et lui et qu’il m’aimait toujours autant. C’est probablement une des plus belles choses qu’il m’a dit et ça a solidifié notre relation qui était déjà très bonne. Le reste de ma famille l’a su surtout par mon père, par ma volonté. Ma mère a réagit un peu plus fortement, mais ça ne lui a pas pris trop de temps pour bien l’accepter et être à l’aise avec ça. La seule autre personne où j’en ai parlé dans ma famille, c’est ma grand-mère. Je ne pense pas qu’elle l’ait complètement compris ou accepté jusqu’à sa mort à l’été 2001 mais malgré tout, je sentais qu’elle m’aimait et que j’étais toujours son « petit-fils préféré ».
Entre-temps, mon bacc achevait. En 2002, j’ai décidé de régler de vieux problèmes qui me suivaient depuis longtemps, ceux de mon secondaire. J’ai consulté une travailleuse sociale pour mettre finalement tout ça derrière moi et aller de l’avant une fois pour toute. Ça m’a beaucoup aidé, ça m’a redonné une confiance en moi que je croyais avoir perdu. Malgré tout, je ne me sentais pas complètement à l’aise en vivant mon homosexualité à Trois-Rivières. Je me suis dit que ce serait peut-être mieux pour moi de faire ma vie ailleurs pour pouvoir enfin m’épanouir entièrement. À l’automne de la même année, je suis arrivé à Montréal. J’avais 24 ans à l’époque et je connaissais déjà quelques personnes là-bas que j’avais connu par Internet mais pour le reste, j’allais à mes cours, je sortais la fin de semaine et je m’emmerdais un peu chez moi jusqu’au jour où en lisant le Fugues, j’ai découvert Jeunesse Lambda.
Le temps de l’acceptation et de la maturité
J’étais très méfiant au départ, je voulais être sûr que Jeunesse Lambda était un groupe sérieux et surtout le fun. Avant d’aller à une soirée de discussion, je voulais rencontrer une personne du groupe pour en savoir plus sur Jeunesse Lambda. Les premières personnes que j’ai rencontrées sont les deux Maudes, deux lesbiennes excessivement sympathiques. Je me rappelle très bien, on est allé au Tim Horton’s pour discuter, après au Centre communautaire et finalement, nous nous sommes rendu à la soirée en question qui était une soirée spéciale au Projet 10 (soirée Cabaret). Je n’ai pas parlé à beaucoup de monde là-bas mais je me rappelle d’avoir discuté avec un asiatique assez énergique, drôle et gentil du nom d’André. Après la soirée, moi et les Maudes, nous sommes sortis dans un bar hétéro et on s’est bien amusé. Ça résume un peu ma première soirée à Jeunesse Lambda.
M’étant amusé la première fois, j’ai décidé de revenir de façon régulière à chaque semaine. Avec le temps, j’ai connu plus de gens et certains sont devenus de bons amis. J’ai aussi découvert qu’on pouvait s’impliquer comme bénévole administrateur de l’organisme. Le plus drôle, c’est qu’au départ, je n’avais pas vraiment d’attentes particulières face à Jeunesse Lambda. Mon seul but était de rencontrer des gens, me faire du fun et pas nécessairement m’impliquer comme bénévole plus actif. Après qu’on m’ait demandé si j’étais intéressé de m’impliquer et surtout qu’on pensait que je pouvais faire du bon travail, j’ai décidé de tenter ma chance à 2 reprises. Cette expérience m’a changée, elle m’a permit de découvrir des qualités que je ne croyais pas avoir. Ça m’a permit de faire sortir ce qui a de meilleur en moi. Je me suis aperçu que je pouvais mener des projets à terme, qu’on pouvait apprécier mon travail et je me sentais respecté. Mon implication m’a fait réaliser j’étais plutôt une personne d’action et de projets et d’action. Je n’ai pas eu peur de faire les choses à ma façon, ce que je n’aurais pas nécessairement fait dans le passé. Bref, si je suis la personne que je suis aujourd’hui, c’est beaucoup grâce à Jeunesse Lambda.
Un avenir prometteur
Aujourd’hui, j’ai 26 ans, j’ai plein de projets en tête et je m’implique beaucoup au niveau communautaire autant dans le milieu allosexuel qu’au niveau universitaire ou social. Je considère que je reviens de loin. Si on m’avait il y a 7-8 ans que je ferais tout ce que je fais aujourd’hui, j’aurais sans doute remis en question la santé mentale de cette personne. Il ne faut pas avoir peur de persévérer, dès le départ j’ai eu des obstacles étant originaire d’une famille défavorisée, mais j’ai mis ça dernière moi quand j’ai finalement compris qu’avoir de l’argent n’est pas nécessairement un gage de bonheur ou d’intelligence chez une personne. Aussi, nous pouvons changer comme personne surtout quand on est jeune. Quand tu te fais répéter constamment pendant des années de temps que tu es un tas de merde et que tu ne vaux rien, tu finis par le croire et penser que tu seras un raté toute ta vie. Mais, on peut renverser la vapeur, oui c’est possible de vivre heureux et de faire quelque chose d’utile dans sa vie. Ça m’a pris du temps pour changer, mais il n’est jamais trop tard pour évoluer. Je tiens à dire que je suis très fier de mon père, qu’il est un modèle d’ouverture face à la différence et que nous n’avons pas peur de nous dire les vraies choses. Il m’a toujours supporté dans les moments difficiles. Mon coming-out a été un des éléments déclencheurs principaux qui fait que j’ai commencé à m’ouvrir un peu plus aux autres. Avant ma première année d’université, j’avais pratiquement une vie de moine, je me méfiais de tout le monde ou presque, je m’engageais difficilement dans des relations d’amitié, je restait chez moi à regarder la télé, je voyais mes parents, ma grand-mère et c’étais tout. Maintenant, je peux difficilement rester chez moi plus de 30 minutes, j’ai toujours quelque chose à faire!
J’espère que ces tranches de vie que j’ai voulu partager vont vous faire réaliser que malgré de nombreuses difficultés rencontrées, nous ne sommes pas des victimes du destin. Notre vie est comme un roman qui s’écrit graduellement au gré des événements. Certains chapitres peuvent être plus sombres que d’autres mais l’important, c’est que notre histoire se termine bien.
 
 

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