26 juillet 2023

Je déteste mon corps féminin et pense donc sans cesse à faire une ablation ou à commencer un traitement hormonal. Toutefois, j’ai peur de regretter parce que je ne me sens vraiment pas comme un homme...

Bonjour,

Depuis plusieurs années déjà je me pose sans cesse des questions sur mon identité de genre. Je suis né.e femme, mais je n’aime vraiment pas m’identifier à ce genre, et n’arrive pas non plus à me retrouver dans le genre masculin (je pense être quelque part sur le spectre de la non-binarité). Le problème, c’est que je déteste mon corps féminin, en particulier ma poitrine, et pense donc sans cesse à faire une ablation, ou à commencer un traitement hormonal. Le soucis c’est que je n’arrive pas à savoir si je me sens mal dans mon corps parce qu’il est féminin, ou si c’est parce que je n’aime tout simplement pas ce à quoi je ressemble. Des fois je sens comme une pulsion d’envie de commencer un traitement hormonal, mais j’ai peur de regretter, parce que je ne me sens vraiment pas comme un homme, alors j’ai du mal à comprendre pourquoi je voudrais avoir leurs caractéristiques physiques si je ne veux pas en être un. Enfin bref, j’aurais besoin de vrais bons arguments pour commencer quoi que ce soit (que ce soit la T ou une ablation mammaire) vu tout ce que cela implique et j’arrive pas à être sur.e de ce choix… (parce qu’en plus je suis une personne indécise de base….bref)

Sophie Desjardins

Salut Sasha,

 

Je vois bien que c’est une question à laquelle tu as déjà longuement réfléchi. Et aussi que tu hésites beaucoup à prendre une décision par crainte de te tromper. Je vais faire de mon mieux pour t’aider à démêler tout ça.

Chaque transition est personnelle et individuelle à la personne qui la fait, ce qui signifie que rien n’est obligatoire et que la personne fait ce qui correspond à sa propre identité de genre et comment elle se sent. Considérant cela, il n’est pas surprenant de se poser des questions et d’avoir des hésitations. Dans le cas d’une personne dont l’identité de genre est très masculine ou féminine, les décisions peuvent se baser sur certains modèles en place. Mais dans le cas d’une personne qui s’identifie à la non-binarité, le manque de modèles ou de points de repère quant à ce qu’est une apparence non binaire rend les choses souvent plus complexes.

Aussi, quand il est question de transition médicale, la permanence de certains changements porte à réfléchir longuement. Ce n’est pas une mauvaise chose et ce sont des choix qu’il faut faire en s’écoutant bien, mais il faut aussi se rappeler qu’il est difficile d’avoir une absolue certitude sur quoi que ce soit dans la vie. Je crois personnellement qu’il faut, si on en est capable, viser une certitude forte de vouloir le changement et un sentiment clair de son importance pour soi. Après, il faut aussi accepter de vivre avec l’impossibilité de voir le futur ou d’avoir une certitude absolue. Enfin, il ne faut pas oublier que la société d’aujourd’hui véhicule plusieurs messages négatifs envers la transitude qui peuvent dans certains cas alimenter les doutes et même en amener là où il n’y en aurait pas eu dans une société qui accepte mieux la différence.

Regardons en premier le pour et le contre de la mastectomie (ablation des seins).

Pour

  • Tu dis que tu détestes tout particulièrement cette partie féminine de ton corps. En dehors de si cela est masculin ou féminin, le point important est que tu ne sembles pas aimer leur présence et l’apparence qu’ils te donnent.
  • Ton sentiment face à ta poitrine semble non seulement fort, mais aussi récurrent et persistant.
  • Une poitrine sans seins est généralement vue comme masculine ou androgyne (sans impliquer que la non-binarité se doit d’avoir l’air androgyne, bien sûr).

Contre

  • Le changement est permanent.
  • La mastectomie laisse une cicatrice visible sous la poitrine. Remarque ici que plusieurs personnes qui font cette chirurgie arborent leurs cicatrices avec fierté.
  • Si tu désires avoir des enfants (une grossesse), il peut être préférable d’attendre pour pouvoir allaiter. Certaines personnes transmasculines ou non-binaires dans cette situation font le choix d’attendre dans un tel cas, tandis que d’autres non. Note bien que ne pas pouvoir allaiter ne rend pas impossible d’avoir un enfant. 

Je crois qu’un élément important de ta décision devra porter sur comment tu imagines ou vois ton propre corps et ton idéal d’image corporelle. Il est vrai que certaines femmes cisgenres vont parfois ne pas aimer leur poitrine et parfois vouloir en avoir moins, mais j’ai rarement entendu parler d’une telle personne qui voulait ne plus avoir de poitrine du tout.

Comme pour la mastectomie, l’hormonothérapie (la testostérone, dans ton cas) n’est pas obligatoire pour être une personne transgenre valide. C’est un choix et il est idéalement lié aux effets de ce traitement sur le corps. Sache qu’en général, il est impossible de n’obtenir que certains changements de l’hormonothérapie en évitant les autres puisque les hormones circulent par les voies sanguines et se répandent donc dans tout le corps. Il est aussi important de comprendre que le corps humain a besoin d’avoir un taux assez élevé d’au moins une des hormones sexuelles principales, c’est-à-dire soit des estrogènes ou de la testostérone, pour assurer une bonne santé à plusieurs niveaux. Il faut donc généralement, selon ce que la science comprend aujourd’hui du corps humain, avoir soit une, soit l’autre. Je n’ai rien vu au niveau scientifique sur l’entre-deux et je ne peux donc rien affirmer avec certitude à ce niveau.

Voici donc les effets les plus communs de la testostérone, qui varient un peu d’une personne à l’autre.

  • Augmente la pilosité, dont celle du visage (moustache et barbe).
  • Peut mener à une perte de cheveux à long terme, de la même manière que ce qu’on observe chez les hommes cisgenres.
  • Provoque un changement dans la voix, après un certain temps, et la rend plus grave et masculine. Ce changement, une fois fait, est permanent.
  • La peau peut devenir un peu plus grasse.
  • Après un certain temps, le cycle menstruel s’arrête.
  • Le clitoris peut augmenter légèrement en taille.
  • Provoque une redistribution des graisses. Moins autour des hanches, plus dans l’abdomen.
  • Augmente la masse musculaire (il ne faut pas s’attendre à des miracles non plus).

Tout ce que je te liste ici devrait être mentionné par la personne qui te prescrit les hormones, du moins si elle suit le modèle de consentement éclairé recommandé par les standards de soins en place à ce sujet. 

Je termine en notant que les taux de regrets pour les personnes qui font une transition sont relativement bas. Il est possible que tu entendes parler de regrets et de détransitions, mais ce qu’il faut savoir c’est qu’il s’agit d’un narratif créé par des personnes qui s’opposent à la transition et à l’existence des personnes trans en général, un discours qui vise à faire peur aux personnes trans et créer une panique morale dans la population. 

Ce qui compte, c’est que tu penses à comment tu te sens et comment ton corps devrait être pour que tu te sentes mieux dans celui-ci. En dehors des questions de masculinité ou de féminité, c’est à toi de définir ton image corporelle et ce que tu désires. Si les caractéristiques féminines de ton corps te dérangent, la question est de savoir ce qui serait ton idéal pour ta poitrine. Si tu désires ne plus en avoir, je crois que tu as ta réponse pour la mastectomie, ou du moins une piste de réponse forte. Et pour l’hormonothérapie, c’est un peu la même chose. Sachant les changements que ce traitement peut apporter à ton corps, est-ce que cela correspond à ce que tu veux comme apparence ou est-ce que cela ne te correspond pas?

J’espère que cela t’aide un peu dans ton questionnement. Je te suggère aussi, si tu ne le fais pas déjà, de rejoindre des groupes de discussion ou des forums où des personnes vivant des choses similaires à toi discutent entre elleux. Il y a aussi, sur les réseaux sociaux, plusieurs personnes non-binaires qui publient toute sorte de contenu qui peuvent t’aider à voir ce que d’autres font et te permettre de comparer, en quelque sorte, des modèles de non-binarité à ton sentiment interne de qui tu es pour t’aider dans ta réflexion.

 

Sophie (elle/she), bénévole pour AlterHéros

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