Est-ce que le travestissement fétichiste pourrait être mon orientation sexuelle?
Bonjour,
Je me permets de vous contacter parce que j’ai toujours eu des doutes sur mon orientation sexuelle. Pour commencer, je n’ai jamais vraiment eu de pulsion sexuelle pour le corps d’une femme ou d’un homme. Voir des corps nus me met mal à l’aise. Toutefois, j’éprouve du plaisir à avoir un contact physique, que ce soit à travers des câlins ou des caresses.
Au début, je croyais être asexuel. Mais en me rendant compte que j’avais quand même une certaine attirance pour « je ne sais quoi », cela m’a poussé à réfléchir à nouveau à mon orientation. En fait, depuis tout petit, je suis attiré par le port des vêtements des autres, pas nécessairement féminins. J’ai récemment découvert qu’il existe un nom pour cette paraphilie : le « travestissement fétichiste ». Après quelques recherches, il me semble que cela correspond à mon orientation même si je rejette l’idée de travestisme puisque j’aime également porter les vêtements d’hommes. Par ailleurs, je porte les vêtements de femmes seulement pour le désir sexuel, pas parce que je me sens femme. Je retire immédiatement les vêtements que je porte une fois l’éjaculation terminée, peut-être par honte mais je ne sais pas vraiment.
Porter les vêtements des autres a toujours été une intense sensation pour moi. Le plaisir sexuel arrive presque instantanément dès le port du vêtement. Même en voyant le vêtement, je peux avoir une érection. M’imaginer dans ces vêtements me procure ces pulsions et je ne saurais pas expliquer pourquoi je suis tellement attiré par ça. Il s’agit essentiellement des vêtements féminins (surtout des robes ou jupes) et d’adolescents (garçon ou fille). Je ne suis pas attiré par des vêtements d’homme classiques. Concernant mon propre style vestimentaire, je ne porte que des habits unis : pas de marque visible, pas de signe particulier, pas de trou ou de déchirure, seulement de l’unicolore.
À travers ce constat, j’en suis venu à la conclusion que ce travestissement me permet de me sentir bien en étant quelqu’un d’autre, en m’imaginant dans une autre vie, dans le corps d’un autre. Pourtant, je me sens très bien dans mon corps et dans ma vie. En effet, je me sens pleinement homme, j’ai une vie heureuse avec ma famille et mes amis, j’ai des journées bien remplies et je ne manque de rien. Ce raisonnement ne tient pas mais c’est le seul plausible.
Il m’arrive parfois de trouver des femmes belles, mais rien qui me pousse à les contempler ou à rêver d’elles. Je pense avoir une attirance pour les femmes mais probablement pas sexuelle. Par ailleurs, je n’ai jamais été amoureux, je pense être trop rationnel pour éprouver une telle sensation, à mes dépens… Le problème, c’est que j’ai le profond désir de fonder une famille et de vivre heureux en tant que père. Comment avoir des enfants et se marier sans éprouver d’amour ? Je ne souhaite pas pour autant passer par les méthodes de la PMA.
Je suis donc en plein questionnement et ce, depuis le début de mon adolescence sans pouvoir expliquer cette orientation sexuelle. Le risque de ne pas fonder une famille me tracasse. Si vous avez le moindre élément ou aide à me donner à ce sujet, je vous serai sincèrement reconnaissant. Il est difficile de vivre sa vie pleinement sans savoir réellement qui on est et ce qu’on aime.
Arthur
Bonjour Arthur,
Merci de nous avoir contacté·e·s aujourd’hui. Tes questionnements sont très intéressants, et il me fera plaisir de partager mes impressions sexologiques avec toi.
Pour résumer les points principaux de ton message, tu ne ressens pas particulièrement d’attirance pour les corps nus, tu apprécies certains contacts physiques et porter des vêtements appartenant à d’autres gens (de différents genres) t’excite. Tu es confortable dans ton identité d’homme. Tu te demandes ce que cela pourrait signifier pour ton orientation sexuelle et ton désir de fonder une famille un jour.
Et bien, il pourrait y avoir plein de significations et de motivations en lien avec tes désirs et tes pratiques sexuelles. Tu nommes possiblement érotiser le fait de te mettre à la place de l’autre, c’est une option très valide à explorer. Je ne crois pas que cet érotisme découle nécessairement d’un sentiment de honte ou d’un besoin d’éviter qui tu es, bien au contraire, c’est une façon d’en apprendre plus sur toi et de t’exprimer. Par ailleurs, bien que le travestissement à visée érotique se fait souvent dans les vêtements d’un autre genre, ça n’a pas à être l’élément le plus important non plus. Il s’agit principalement de contrevenir, subvertir ou de jouer avec certaines règles ou interdits accepté·e·s socialement (que ce soit les normes de genre ou la propriété privée). Si pour toi l’aspect de l’appartenance des vêtements est plus excitant que le genre qui leur est associé, bien à toi. 🙂
Je pourrais expliquer en détail les théories biopsychosociales portant sur les soi-disant causes des érotismes, mais je crois qu’il serait davantage utile de souligner que porter ces vêtements est pour toi une expérience amusante, agréable et excitante, et qu’elle ne semble pas avoir de conséquences néfastes sur ta santé ou ton bien-être ni celui des autres. Tu ne précises pas la façon dont tu procures les vêtements, il existe définitivement un marché en ligne pour l’échange de vêtements usagés (dans une visée érotique ou non). Je t’invite donc à ne pas faire de vols et à respecter le consentement des gens à qui appartiennent les vêtements en question.
Ensuite, l’attirance sexuelle/sensuelle ne se présente pas toujours comme cette forte pulsion incontrôlable, il y a une diversité de façon de la ressentir dans une multitude de contextes. C’est aussi assez commun de ne pas ressentir d’excitation particulière à la simple vue de corps nus, sans contexte ou préparation particulière. La plupart des gens ont besoin d’un peu plus de stimulation (par le toucher de ses zones érogènes ou de celles des autres, ou par les scénarios ou les fantasmes) pour ressentir une véritable excitation. Et juste pour préciser, il est aussi très commun que l’intérêt sexuel se dissipe à la suite de l’orgasme.
Cela dit, il y a des personnes qui ne ressentent pas du tout d’attirance sexuelle, qui en ressentent moins que la moyenne ou encore seulement dans certains contextes précis. Plusieurs de ces personnes s’identifient comme asexuel·les pour cette raison. Il y a de la désinformation et des stéréotypes qui entourent l’asexualité, mais il s’agit bel et bien d’une orientation sexuelle légitime réclamée par beaucoup de gens. Il y a un continuum de l’asexualité, et il est possible d’être asexuel·le tout en aimant se masturber ayant certaines attirances à l’occasion par exemple.
Il y a aussi des gens qui font l’expérience de fétiches (ou de “kinks” en anglais). Il s’agit d’un ensemble des jeux et des pratiques sensuels et/ou sexuels, parfois en lien avec l’échange de pouvoir symbolique, la restriction ou l’amplification de certaines sensations corporelles, etc. Il est possible d’intégrer ces pratiques à n’importe quelle autre orientation sexuelle, et d’avoir un lien plus ou moins fort avec la plus grande communauté BDSM ou kinky. Certaines personnes voient une séparation claire entre leur univers sexuel et le reste de leur vie quotidienne en société, d’autres moins.
Concernant les termes paraphilie et travestisme fétichiste. S’ils rejoignent ton expérience et te permettent d’expliquer ton vécu tu peux les utiliser. J’aime moins le mot paraphilie parce qu’il fait souvent référence à un trouble ou une dysfonction dans le DSM-5 (le manuel permettant le diagnostic de trouble de santé mentale), et je n’ai pas l’impression que cela est juste ici. Je pense qu’il ne s’agit que d’une pratique parmi tant d’autres. Il existe tout un tas de jeux et de pratiques sensuel·les qui ne se centrent pas sur la pénétration à visée reproductive, et celles-ci sont bien plus populaires que l’on ne pourrait le croire. Une étude québécoise souvent citée démontre qu’en fait très peu de fantasmes sont rares ou atypiques et que 50-60% des hommes et des femmes ont des fantasmes kinky et sado-masochistes. Je me doute que ces chiffres soient similaires en France également. 🙂
Bref, tout ça pour dire que tes pratiques de transvestisme et la façon dont tu expérimentes l’attirance sexuelle pourraient parfaitement faire partie d’une vie épanouie et bien remplie, et de relations satisfaisantes (platoniques et romantiques).
Plus spécifiquement, c’est possible de vouloir (et d’avoir) des relations amoureuses sans ressentir d’attirance sexuelle. Comme je mentionnais plus tôt, tu n’es pas la seule personne au monde à ne pas vraiment vouloir ou avoir de besoin pour des relations sexuelles à deux et plusieurs de ces personnes cherchent tout de même l’intimité et la routine d’un couple. Il y a des groupes et des sites de rencontres dédiés à cela. Même si tu n’as pas encore été amoureux, il est possible que tu le sois un jour, et ce même si tu es plutôt rationnel, pense à Pierre et Marie Curie ou William Masters et Virginia Johnson. Être cartésien·ne et amoureux·euse ne sont pas des choses mutuellement exclusives.
Qu’est-ce que signifie avoir une famille pour toi? Est-ce que c’est d’être en couple, d’avoir des enfants, les trois? Est-ce qu’il pourrait s’agir d’entretenir une relation durable, intime et personnelle, sans nécessairement de sexualité, ni de mariage? S’agit-il d’avoir un rôle de supervision ou de soins envers des jeunes ou simplement d’être lié par le sang avec quelqu’un? Tu ne veux pas avoir recours à la procréation assistée, il y a encore les options de l’adoption, de former une famille d’accueil ou de travailler pour un camp de jour, une école ou un organisme qui aide les personnes isolé·es? Certaines personnes fondent des familles choisies avec des personnes significatives dans leurs vies. Ces liens ne sont pas génétiques, mais ils ne sont pas moins réels et profonds.
Je me demande quelles sont tes principales motivations, s’il s’agit de la proximité et de la routine avec une ou plusieurs personnes, le fait d’enseigner et de prendre soin de petit·es ou si c’est autre chose. Par exemple, la société met énormément de pression pour atteindre l’image d’une famille nucléaire avec un père, une mère et 2,5 enfants. Cette pression pourrait avoir un impact sur la façon dont tu imagines ton avenir. Que se passerait-il si tu n’atteignais pas cet objectif? As-tu l’impression de surtout vouloir éviter une sorte d’échec? Il existe plusieurs façons pour trouver du sens et de la réussite dans la vie, autres que de fonder une famille.
Ta dernière phrase, comment vivre sa vie sans réellement savoir qui on est et qui on aime, m’a beaucoup fait réfléchir. Je crois qu’apprendre à vivre avec le doute, l’incertitude et l’inconnu a été l’un des apprentissages les plus difficiles de ma vie adulte jusqu’à maintenant, mais aussi l’un des plus enrichissants. Il y a énormément de liberté et d’autonomie à gagner en gardant ses possibilités ouvertes et en empruntant le chemin qui pique notre curiosité sur le moment sans trop se soucier de ce que ça peut vouloir dire.
J’espère que mes éléments de réponse pourront t’aider à y voir au moins un peu plus clair. N’hésite pas à nous écrire à nouveau si tu aimerais plus de précisions ou si tu as d’autres questions.
Passe une bonne journée,
Maxime, intervenant·e pour AlterHéros
Iel/they/them, accords neutres