Bonjour Eonisme,

Merci beaucoup pour la confiance que tu nous témoignes en nous écrivant. Tu nous rapporte que tu aimes porter au quotidien des vêtements associés à la féminité et, bien que tu sois attiré sexuellement et émotionnellement pour les femmes (c’est du moins ce que j’ai cru comprendre), il t’arrive aussi d’être attiré sexuellement par un homme. Tu te demandes de quelle manière on peut te définir.

Lorsqu’il est question d’orientation sexuelle (bisexualité, homosexualité, hétérosexualité) et d’identité sexuelle (femme, homme, et tout ce qu’il y a autour), de multiples « étiquettes » sont possibles. De plus, pour rendre les choses encore plus complexes, une même « étiquette » peut avoir différentes définitions selon le spécialiste, le milieu ou la langue auquel on se réfère. C’est le cas notamment du mot « bisexuel ». La définition que tu en as implique qu’il faut qu’il y ait attirance physique et émotionnelle envers des personnes des deux sexes. Or, ce n’est pas la seule définition qui existe pour ce mot et, personnellement, je dirais aussi que ce n’est pas la meilleure, car elle est beaucoup trop tranchée. Elle implique qu’on est bisexuel à 100% ou qu’on ne l’est pas du tout. Dans la vraie vie, les choses sont rarement aussi noires ou blanches.

Je préfère quant à moi la vision proposée par Alfred Kinsey. Celui-ci, dans les années 1950s, a étudié les comportements sexuels des hommes et des femmes et en est arrivé à la conclusion que hétérosexuel à 100%, bisexuel à 100% et homosexuel à 100% n’étaient pas les trois seules orientations sexuelles possibles, car plusieurs nuances entre elles existaient aussi. Il a alors créé une « échelle » pour représenter son idée. En voici une version simplifiée :

Ici, le fait que l’attirance soit physique ou émotionnelle n’a pas d’importance. Kinsey, qui a été l’un des pionniers de la sexologie moderne, s’intéresse plutôt au vécu de la personne, qu’il se soit passé dans la réalité ou qu’il soit seulement fantasmé.

Selon cette échelle, tu pourrais être un « 2 », c’est-à-dire un hétérosexuel ayant à l’occasion des expériences homosexuelles ou, on peut aussi le dire ainsi, un bisexuel ayant une préférence pour les femmes. À toi de choisir laquelle de ces étiquettes te convient le mieux. À noter qu’un homme ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes n’est pas obligé de s’identifier comme homosexuel ou bisexuel pour autant, et peut décider d’utiliser l’étiquette hétérosexuel ou de ne pas utiliser aucune étiquette.

Pour ce qui est de ton goût pour les vêtements féminins, on pourrait là aussi apposer une étiquette, ou non. Comme tu ne t’habilles pas de manière féminine parce que ça te procure un plaisir sexuel, on peut exclure l’étiquette « fétichiste ». Tu pourrais choisir d’avoir l’étiquette «travesti», c’est-à-dire un homme qui s’habille avec des vêtements actuellement associés au genre féminin. J’écris « actuellement », car c’est beaucoup une question d’époque et de société. Si, aujourd’hui, les jupes, les collants, les corsets, le maquillage et les talons hauts sont associés aux femmes, il n’en a pas toujours été ainsi. Exemple, au 17^e siècle, en France, l’homme « viril », portait une jupette, des collants, une longue perruque, des talons « plateforme », des rubans et se maquillait abondamment… Le travestissement est une question de mode et de société beaucoup plus que de sexe biologique et n’a pas de lien direct avec l’orientation sexuelle (contrairement à la croyance populaire qui veut que les travestis soient majoritairement des homosexuels, la grande majorité sont hétérosexuels). De plus, il ne faut pas mélanger ce terme avec celui de « drag-queen » puisque la drag-queen cherche moins à avoir une apparence féminine « réaliste » qu’à présenter une version exagérée de celle-ci à des fins de performance et de divertissement.

Donc, si tu tiens à te « définir » en mots, ça pourrait par exemple être : hétérosexuel ayant quelquefois des expériences homosexuelles (ou bisexuel ayant une préférence pour les femmes) et travesti.

Par contre, je terminerais en te disant qu’il faut se garder de voir ces étiquettes comme des absolus ou comme des éléments réellement « utiles » puisqu’ils ne définissent qu’une toute petite partie de ce que tu es en ce moment. À eux s’ajoutent aussi ta nationalité, ton origine ethnique, ton travail, tes croyances religieuses, tes études, l’endroit où tu habites, ton statut familial, les loisirs que tu pratiques, etc. Chaque individu est beaucoup trop complexe pour pouvoir être défini seulement en quelques mots. De plus, ce n’est pas parce que tu es d’une telle façon maintenant que ce sera toujours le cas. On change avec le temps, parfois peu, parfois beaucoup. L’important, c’est plutôt de s’accepter tel qu’on est et de travailler à être heureux.

J’espère avoir pu t’aider un peu. N’hésite pas à nous réécrire si tu as des questions,

Pascale