22 janvier 2005

Témoignage: Après la pluie le beau temps!

J’ai grandi dans une paisible banlieue montréalaise et, d’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été attiré par les gars.  Mon premier vrai souvenir d’attirance homosexuelle remonte à mes 9 ans, lorsque je suivais des cours de tennis et que je voyais mon prof se changer dans les vestiaires.  Je fus assez isolé tout au long de mon primaire car personne ne s’intéressait vraiment à l’enfant hyper timide que j’étais et qui avait toujours peur des autres.  Entré au secondaire, j’ai été classé dans les catégories des «nerds» et traité comme tel durant cinq ans.  Malgré tout, j’ai eu en moyenne une blonde par année pour mes cinq années de secondaire, la relation durant habituellement plus ou moins un mois.  J’avais des blondes uniquement pour plaire aux autres, et parce que les autres gars le faisaient, mais je choisissais habituellement des filles très timides qui pour rien au monde ne m’auraient forcé à avoir une relation sexuelle.  Car je pouvais jouer le jeu, mais pas jusque là… avoir une relation sexuelle avec une fille me semblait absurde, comme si ça n’allait pas naturellement.  Mais je ne pensais pas non plus à avoir une relation sexuelle avec un gars, et j’ignorais tout de la sexualité gaie.  Je n’avais pas accès à internet (enfin si, à l’école, dans le local d’ordis… jamais je n’aurais osé aller voir un site gay !)

            À partir de secondaire 5, j’ai commencé à être très attiré par un de mes seuls amis gars, qui ne semblait pas par contre répondre le moindrement à mes tentatives de rapprochement.  J’ai passé plusieurs soirées chez lui à écouter des films ou à bavarder, en espérant vainement qu’il ferait un mouvement vers moi… ce fut peine perdue, car j’ai espéré pendant deux ans qu’il se passe quelque chose et il ne s’est jamais rien passé.  J’ai par contre eu pendant ce temps une blonde un peu plus fonceuse que les autres, et qui désirait vraiment coucher avec moi.  Comme elle s’essayait par vraiment tous les moyens, et que ma banque d’excuses devenait de plus en plus mince, je n’ai pas eu d’autre choix que de rompre.  Et ce fut le commencement d’une longue période de questionnements sur mon orientation sexuelle.  Pendant toute une année, je me suis demandé jusqu’à quelle point était mon attirance pour les garçons.  Et pour la première fois, j’ai pensé que je pourrais un jour vivre ouvertement mon homosexualité.
J’avais déjà vu, à la télé ou dans les journaux, des reportages sur l’homosexualité, mais je ne pensais jamais que ça s’appliquait à moi.  Je croyais pouvoir vivre toute ma vie une double vie, où j’aurais des attirances pour les gars mais sans jamais les matérialiser.  Je me voyais marié (avec une femme), avec des enfants, mais malheureux en même temps puisque je cachais toujours quelque chose.  Pour surtout ne pas m’aider, je me suis inscrit à Bois-de-Boulogne, Cégep où la communauté homosexuelle n’est pas particulièrement visible, bien que parfaitement présente.  L’atmosphère du cégep est plutôt homophobe, et je crois que c’est à cet endroit que j’y ai enduré le plus de commentaires homophobes jamais entendus.  Pourquoi Bois-de-Boulogne ? Pour suivre le gars que j’aimais… comme quoi de plus en plus je réalisais que je pourrais jamais plus avoir de blonde et que je devrais commencer par m’accepter.
Moment fatidique : je veux faire mon coming-out.  J’ai mis deux mois entre le moment où je me suis dit qu’il fallait que je le dise et le moment où je l’ai effectivement dit.  Il me fallait quelqu’un à qui en parler en premier.  J’ai choisi une de mes amies un peu flyée, Kristel, qui sort déjà un peu dans les bars et qui semble plus réceptive.  Nous sommes au début de l’été 2001, j’ai 17 ans (bientôt 18) et je pars de chez moi pour aller tout raconter à mon amie.  Je commence par lui dire que je ne vais pas très bien (effectivement, ça fait presque un an que je suis déprimé) et que j’ai quelque chose de gros à lui dire.  Par lâcheté, je lui demande de deviner.  Après quelques autres questions, elle me demande si je suis attiré par les gars.  Je lui répond que oui… et je commence à pleurer ! Elle a très bien réagi, en me disant qu’il n’y avait rien là, que je n’étais pas un monstre… Et je lui ai fait jurer de ne pas en parler à personne.  Je voulais moi-même contrôler à qui je le dirais et quand.
Je l’ai donc dit, amie après amie, une à la fois, scrutant les réactions, anticipant avec peur les émotions que je pourrais susciter, particulièrement chez mes anciennes blondes qui étaient devenues mes amies… tout s’est quand même relativement bien passé, à part une amie plus catholique qui a arrêté de me parler » parce que Dieu n’étais pas d’accord»… mais dans l’ensemble une belle réussite, bien que long… le tout s’est espacé sur une année complète, toute ma deuxième année de cégep.
Une amie en particulier m’a énormément aidé : Sophie.  Lorsque je lui ai dit, dans le métro, à l’automne 2001, ça première réaction a été : je t’emmène dans un bar gay ! Je n’avais jamais eu le courage d’y aller seul et mes autres amies à qui je l’avais dit n’étaient pas très chaudes à l’idée d’y aller… j’ai donc été au Sky avec mon amie un vendredi soir, alors que le dernier bus qui nous ramenait vers notre banlieue profonde était à 10h30.  Nous nous sommes donc pointés au Sky vers 8h30, alors que c’était passablement désert, et il y avait tous ces hommes plus vieux que moi qui me dévisageaient… c’était à la fois excitant et terrifiant.   Nous ne sommes pas restés tard, mais j’ai eu un étrange sentiment de découverte ce soir-là…
Mais, les mois passent, et j’ai beau faire mon coming-out une personne à la fois, il ne se passe pas grand chose dans ma vie.  Je travaille, je vais à l’école, je sors un peu avec mes amies hétéros, et je m’ennuie.  Je veux qu’il m’arrive quelque chose, mais je sais pas au juste quoi.  Je n’ai aucune idée de la façon dont je peux rentrer en contact avec un autre gars gay… Un soir, alors que j’écoute distraitement la télévision dans ma chambre, je vois un reportage sur l’homosexualité, avec des témoignages de jeunes.  Et je vois un gars de mon cégep, qui était dans un cours de psychologie, parler à la télé de son coming-out, de sa vie, de ses amis, de son bonheur.  Je décide de faire le grand saut et d’aller lui parler.
Le hasard a fait en sorte que je le croise dans le train de banlieue le lendemain.  Je me décide à aller lui parler et à lui dire que je l’avais vu à la télévision la veille.  Il commence à me nommer toutes les émissions auxquelles il avait participé et où il avait été parler d’homosexualité; la liste était longue.  Je l’admirais tellement ! En même temps, j’étais incapable de lui dire que moi aussi, je suis homosexuel.  Durant deux semaines, j’ai mis toutes mes amies à contribution, et je me suis arrangé pour passer le plus de temps possible avec lui.  Je le croisais «par hasard» dans un corridor (alors que je savais très bien qu’il passait par là pour aller à son cours) ou alors je prenais «par hasard» le même train que lui (alors que mon cours ne commençait que deux heures plus tard) et j’ai finalement réussi à lui dire que j’étais gay alors que je le croisais «par hasard» dans la bibliothèque.  Il m’a aussitôt proposé d’aller faire un tour au Village gay, prendre un café, rencontrer des gens, etc.  C’était l’opportunité rêvée de découvrir un monde nouveau !  J’ai découvert, en l’espace de deux semaines, le Centre Communautaire, plusieurs cafés et restaurants, deux bars, etc.
Mais, pour mon plus grand malheur, je suis tombé amoureux.  C’était à prévoir : l’histoire classique, le jeune innocent qui tombe en amour avec le gars qui a énormément d’expérience… et ça ne marche pas ! Je pense que je lui ai fait peur… je devais avoir l’air un peu trop exalté ! Je lui ai fait une très romantique mais un peu pathétique déclaration d’amour, on s’est quand même embrassés… mais ça n’a pas été plus loin.  J’étais très fier… c’était la première fois que j’embrassais un gars, et c’était en public en plus ! Nous nous sommes embrassés au métro Beaudry, dans l’escalier roulant qui descend.   Moment de gloire, j’ai appelé toutes mes amies pour leur dire à quel point j’étais en amour…
Très vite, je me suis rendu compte qu’il ne voulait pas aller plus loin, et il préférait que nous restions uniquement des amis (comme j’ai entendu cette phrase souvent depuis !).  J’ai mis quatre mois à passer au travers… et je me retrouvais exactement à mon point de départ, puisque je n’avais plus aucun contact avec la communauté gaie et que j’étais encore trop gêné pour sortir seul.  Puis, une autre amie de cégep, Rhodnie, m’a proposé d’organiser une «blind date» avec un de ses collègues de travail.  Pourquoi pas… j’étais assez isolé, et ça m’aurais fait du bien de rencontrer quelqu’un.  Mais, conflit d’horaires oblige, nous n’avons pas pu nous rencontrer avant le début d’août 2002.  Je viens alors tout juste d’avoir 19 ans, et je commence à être désespéré d’être célibataire.  La journée du blind date arrive, et l’activité choisie est d’aller au défilé de la fierté gaie, auquel je n’ai jamais assisté.  Nous étions chacun avec notre gang d’amis, et le courant n’a pas du tout cliqué entre nous deux.  Mais ça a cliqué avec son meilleur ami… il est devenu mon premier chum, nous avons vécu durant un mois une relation compliquée mais enrichissante.
Puis est venue l’étape du dévoilement aux parents, la toute dernière d’un long processus dans mon cas.  Un soir, alors que je feuilletais des photos prises lors d’un party d’université, ma mère était dernière moi.  Je savais très bien qu’une des dernières photos de la pile était une photo de moi embrassant mon chum.  Celle que je regardais sur le moment était une photo particulièrement drôle de party, et je l’ai donc montrée à ma mère en nommant les gens qui étaient sur la photo.  Et j’ai continué en lui montrant chaque photo et en nommant les personnes et le lien qu’elles avaient avec moi.  « Voici mon amie Inge, qui est dans ma classe de bio. » et ainsi de suite jusqu’à temps qu’on arrive à la photo de mon chum et moi.  « Et lui c’est mon chum ».  Voilà, mon coming-out à ma mère était fait.  Elle n’a rien dit de particulier.  Pas de tempête, pas de déchirements, pas de larmes.  Mon père l’a sut quatre mois plus tard, ma mère lui ayant dit alors que j’étais parti un mois en appartement.  Je n’ai jamais su exactement comment il a réagi.  Je n’en ai jamais vraiment reparlé avec eux.
J’ai rencontré plusieurs gars depuis, avec qui j’ai eu des relations complexes, enrichissantes, déchirantes… qui m’ont beaucoup fait grandir mais qui m’ont aussi fait ouvrir les yeux sur la complexité des relations humaines.  Je suis parti en appartement, je finis mon baccalauréat bientôt, qui sait ce que l’avenir me réserve…

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