Adoption d'un enfant d'une mère porteuse: avertissement aux couples

AlterHéros

En janvier dernier, le juge Michel DuBois a refusé à une mère d’adopter légalement sa fille née d’une mère porteuse. Le tribunal ne sert pas à régulariser le produit d’une démarche illégale, a dit le juge. Et au Québec, le recours à une mère porteuse est toujours contraire à la loi.

Julie et François ont une petite fille, Mégane*. Celle-ci grandit comme toutes les petites filles, avec ses deux soeurs aînées et ses parents qui s’occupent d’elle depuis sa naissance. Rien ne distingue Mégane de tous les autres bébés de son âge.

Sauf un détail: officiellement, Mégane n’a pas de mère. Sur son certificat d’état civil, elle n’a qu’un père. Julie ne sera jamais la mère de son enfant.

Mégane ne le sait pas encore (elle est née en 2008), mais sa maman n’est pas celle qui l’a mise au monde. Pendant sept ans, ses parents ont tenté plusieurs traitements de fertilité pour aider Julie à tomber enceinte. En vain. Finalement, ils ont décidé d’avoir recours à une mère porteuse.

Ils l’ont trouvée sur l’internet. Marie, mère de cinq enfants à elle, en plus d’avoir déjà été mère porteuse pour d’autres couples, leur inspire confiance. En échange d’une fiole contenant le sperme de François et de 20 000$ «pour couvrir les inconvénients et dépenses», Marie tombe enceinte.

Le jour de la naissance de Mégane, Julie et François sont présents dans la salle d’accouchement. François déclare être le père de l’enfant. Le médecin inscrit donc son nom à côté de celui de Marie dans sa déclaration de naissance. Mais Marie, contrairement à François, ne signe pas le formulaire destiné au Directeur de l’état civil?; à la place, elle signe un consentement spécial à l’adoption du bébé par Julie, la conjointe du père. Ne restait à Julie qu’à entreprendre des démarches pour adopter officiellement sa fille.

La fin et les moyens
Or, ce qui ne pourrait paraître qu’une simple formalité – et qui était peut-être perçu ainsi par Julie et François – s’avère plus complexe que prévu.

Julie et François n’ont rien caché. Devant le juge à qui ils ont demandé d’officialiser l’adoption, ils ont été francs?: leur fille est née d’une mère porteuse, et il est vrai que les contrats de mère porteuse ne sont pas reconnus au Québec. Mais voilà, Mégane est là et il est dans son intérêt que Julie, qui l’élève, soit reconnue comme sa mère.

Mais le juge Michel DuBois, de la Cour du Québec, a dit non.

« Ainsi donc, écrit le juge, toute la démarche conçue et réalisée dans l’illégalité aboutirait finalement à un résultat légal, grâce à l’utilisation commode du critère passe-partout de l’intérêt de l’enfant. Ce critère purifierait plus blanc que blanc et effacerait tout ce qui a été fait auparavant.»

La fin ne justifie pas les moyens, dit le juge DuBois. «L’intérêt de l’enfant, tout important soit-il, n’est pas un argument fourre-tout permettant tout et son contraire», écrit-il. De plus, l’intérêt de l’enfant n’est pas le seul critère dont

la justice doit tenir compte avant de consentir à l’adoption. Le Code civil impose une autre condition?: le respect des conditions prévues par la loi. Or, Mégane a été conçue par une mère porteuse, ce qui est illégal au Québec. L’ignorer, ce serait pour le tribunal «faire preuve d’aveuglement volontaire».

Mégane n’aura donc qu’un seul parent, son père. «Cette enfant, a conclu le juge, n’a pas droit à une filiation maternelle à tout prix.»

L’adoption et ses conditions
Michel Tétrault, professeur de droit à l’Université de Sherbrooke et spécialiste du droit de la famille, apprécie le jugement DuBois. «Il se prononce sur une question qui intéresse de plus en plus de couples, compte tenu de l’infertilité, dit-il. Ce n’est pas la première fois que ça se fait, mais c’est la première fois qu’un juge dit que ça ne devrait pas se faire.»

«On n’est pas assez naïf pour penser que ça n’existe pas», poursuit le juriste. Mais comment d’autres parents ont-ils pu régulariser une naissance d’une mère porteuse? Personne n’aurait jamais, avant le juge DuBois, posé autant de questions aux parents, croit M. Tétrault. Pourtant, «en 2008, des enfants qui ont des actes de naissance sans maternité déclarée, ça doit être statistiquement faible?! On n’est plus à l’époque où on laissait les bébés aux portes des maisons?!»

Le professeur Tétrault évoque que des parents ont aussi pu, par le passé, falsifier la déclaration de naissance en faisant passer la mère adoptive pour celle qui a accouché, en échangeant carrément les cartes d’assurance maladie. Ou encore, en envoyant la mère porteuse accoucher dans un État américain qui reconnaît les contrats de mère porteuse. L’État produit alors un certificat au nom du couple adoptif, qui n’a plus qu’à le faire reconnaître par le Directeur de l’état civil du Québec.

Quoi qu’il en soit, la législation actuelle condamne les couples concernés «à rester vagues sur les circonstances de la naissance de l’enfant», observe la professeure Carmen Lavallée, de la faculté de droit de l’Université de Sherbrooke. Le jugement est un avertissement pour les couples, tant hétéros que gais, qui font appel à une mère porteuse: l’adoption par le parent non biologique n’est pas garantie. «Une chose est sûre, ajoute Michel Tétrault, le jugement DuBois va circuler à la Cour du Québec. Des lumières vont s’allumer. Les juges seront probablement plus vigilants.»

Presque une vraie mère
Dans la vie de tous les jours, la décision du juge DuBois ne changera pas grand-chose pour Julie et Mégane. Julie avait déjà demandé et obtenu un congé parental dit d’adoption. Mégane l’appelle maman, et tous ceux qui ignorent les circonstances particulières de sa naissance considèrent Julie comme sa mère.

Mais aux yeux de la justice, Julie reste la «conjointe du père» et n’a aucune autorité parentale sur sa fille. Elle ne peut autoriser des soins médicaux en son nom. Elle ne peut l’inscrire à la garderie ou à l’école. Elle ne peut demander un passeport pour elle, ou autoriser le père à en demander un. Ou même être informée que le père de Mégane a demandé un passeport pour sa fille. François est le seul parent de Mégane.

Tant que le couple s’entend bien et reste ensemble, ça ne posera pas vraiment de problème. Et si François meurt, Julie pourrait être nommée tutrice de sa fille.

Mais si Julie et François se séparent? Julie pourra-t-elle réclamer des droits de garde de «la fille de son ex-conjoint»?? Elle devra prouver au juge que les liens entre elle et Mégane justifient une garde partagée. Mais si François décide ensuite d’envoyer sa fille dans une école, dans une ville, plutôt qu’une autre? Julie ne pourra théoriquement rien dire. «En fonction du droit actuel, dit Michel Tétrault, elle n’a aucun pouvoir décisionnel.»

* Comme la cause concerne une enfant mineure, les vrais noms des parties sont confidentiels. Ni les parents ni leur avocate n’ont voulu parler à La Presse à ce sujet. La cause n’a pas été portée en appel. La mère a eu ses deux autres filles d’une union précédente.

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