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1 mars 2023

Pourquoi est-ce que je n'arrive pas à me lancer sereinement dans ma transition?

Bonjour,

J’ai 35 ans et cela fait plus de 25 ans que je me travestis en femme et que j’éprouve un profond mal-être par rapport à mon corps.

Mes souvenirs les plus lointains sont presque tous liés à ma transidentité.
Depuis toute jeune, je m’imagine en femme, que ce soit en me travestissant ou en m\’inventant un personnage féminin lorsque je jouais avec mes amis ou mes frères.

J’ai eu le temps de me poser des millions de questions, je me suis demandé si j’aimais juste me travestir, j’ai questionné mon orientation sexuelle. J’ai essayé d’identifier si ce désir d\’être une femme venait d’une frustration ou d’une idéalisation de la femme.
De la même façon j’ai essayé d’ignorer le problèmes de plein de façon différentes. En jetant toutes mes affaires, en essayant de devenir un mec plus viril, en m’installant avec une copine..
Rien à faire, j’ai 35 ans et mes problèmes sont toujours là.

Je suis aujourd’hui célibataire, j’ai une petite maison rien qu’a moi. Ma famille m’accepterais s’il étaient au courant. J’ai un bon travail dans une entreprise très inclusive.
Concrètement j’ai la chance d’avoir un environnement parfait pour me lancer dans ma transition.
Mais malheureusement, je n’arrive pas à prendre ma décision.
Je suis à une époque de ma vie ou ça devient (mon ressenti) important de se projeter et de faire des rencontres, voir de se mettre en couple.
J’aimerai juste avoir une vie normale en tant que femme, mais je suis terrorisée par le fait que ma transition ne puisse pas m’apporter cela.

J’ai deux choix :
– Continuer à vivre ma vie assez déprimante comme je l’ai fait pendant 35 ans. tout en sachant que ma relation avec les femmes se résumera souvent par une projection de ma transidentité.
– Faire ma transition et si je ne « passe » pas suffisamment, limiter ma vie et mes relations à un cercle très spécifique et donc globalement oublier la « vie normale » dont je rêve.

Je passe 90% de mon temps en femme, mais seulement chez moi quand je suis seule. Du coup je ne sors pas beaucoup.
Ma transidentité prends trop de place dans ma vie pour être « fonctionelle ».
Je ne m’imagine pas une seconde montrer publiquement cette « image d’homme habillée en femme » que je renvois.
En face d’un miroir, si je ne suis pas travestis, je me déteste. Et si je suis travestis je me dégoute car pas assez naturelle.

J’ai beaucoup de mal à m’identifier à d’autres trans, de ce fait je n’ai aucun contact à qui parler dans cette communauté.

Je suis fatiguée de jouer le rôle d’un homme que je ne suis pas.

Je me permet donc de poser ma question : Pourquoi est-ce que je n’arrive pas à me lancer sereinement dans ma transition ?

Sophie Desjardins
Salut Ellie,
Avant tout , j’ai envie de te dire que je comprends trop bien ta souffrance. Le questionnement, les doutes, les rationalisations, les tentatives de suivre la norme, la persistance de ton identité … tout cela est malheureusement commun dans le vécu d’une personne transgenre.
Je crois que ton hésitation est fortement liée aux normes sociales que tu as intériorisées (comme nous toustes) et, plus particulièrement, à ce qu’on appelle le narratif trans. Ici, c’est surtout la crainte de ne pas avoir un passing suffisant qui semble te préoccuper. Tu le nommes très bien lorsque tu parles de « l’image d’homme habillé en femme ».
Le narratif trans, c’est en quelque sorte une norme à propos de la transition. Il décrit ce qu’est une transition considérée comme réussie. Il indique qu’une femme transgenre doit avoir un passing le plus parfait possible afin d’être presque identique à une femme cisgenre. C’est une norme qui, disons-le, pousse les personnes trans à se fondre dans la norme cisgenre hétérosexuelle. À devenir invisible. À ne plus « avoir l’air » trans, quoi.
De plus en plus, les communautés trans critiquent et s’éloignent de ce narratif, parce qu’il implique que toute transition qui n’atteint pas ce passing est invalide, moindre. Il n’y a fondamentalement rien de mal à viser une apparence féminine. Si on y pense bien, les femmes cisgenres le font aussi. Mais il est primordial que ce soit un choix réel et pas une décision faite sous la crainte et la peur d’être invalide, sous le sentiment d’être obligée d’avoir l’air parfaitement féminine.
Quand tu me dis craindre d’avoir l’air d’un homme habillé en femme, j’ai envie de te dire que cette image te cause de l’inconfort seulement parce que c’est ce que tu as appris à penser. Il ne faut pas sous-estimer les effets de la socialisation et d’un message répété sans arrêt, partout, tout au long de ta vie. À force de répétition, on en vient à considérer le message comme un fait au lieu de voir que ce n’est qu’une opinion. Je sais que c’est facile à dire et difficile à faire, mais une étape importante et très utile du processus de transition est la déconstruction de ces apprentissages. Une femme peut être belle et valide tout en ayant peu ou pas de hanches, peu ou pas de poitrine, un visage aux traits moins délicats ou une pilosité corporelle. Je ne fais que nommer des exemples, mais note bien que tout ce que je viens de nommer peut aussi bien décrire une femme trans qu’une femme cis.
Si et quand tu feras une transition, je t’invite à ne pas penser en termes de succès ou d’échec, mais plutôt en termes de changements positifs et incrémentaux qui vont t’amener à une apparence qui sera la tienne. Une transition, qu’elle passe par des vêtements, une hormonothérapie ou des chirurgies, passe aussi par une adaptation aux changements et à l’évolution que l’on vit. On dit que la transition est une sorte de seconde puberté entre autres parce que ce qu’on vit à travers les changements multiples à notre apparence est très similaire.
Je crois bien que c’est l’approche à prendre pour atteindre la sérénité que tu recherches face à la transition. Tu dis avoir de la difficulté à t’identifier à d’autres personnes trans, mais je crois justement qu’aller vers cette communauté pourrait t’aider à mieux t’accepter toi-même. Tu pourrais peut-être jeter un coup d’œil aux permanences de Ouest Trans par exemple, qui se rencontrent à Rennes.
Tu mentionnes que ta famille t’accepterait si tu leur en parlais. Si c’est le cas, sache que l’acceptation des proches est particulièrement aidante et fait bien souvent défaut. Tu as là quelque chose de potentiellement très aidant.
Finalement, je ne veux pas tout à fait ignorer ta crainte de la solitude et d’avoir plus de difficulté à te mettre en couple. D’un côté, tu as raison de craindre que cela diminue tes chances. Mais de l’autre, dis-toi que ces personnes qui ne seraient pas intéressées par qui tu es vraiment ne seraient probablement pas des bon·nes partenaires non plus. Un élément important pour réussir à trouver une relation positive et satisfaisante est d’être soi-même, bien avec soi-même et en relation avec une personne qui t’aime pour qui tu es.
Merci de nous avoir écrit, au plaisir,
Sophie (elle/she), bénévole pour AlterHéros

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