L'idée d'être trans me terrifie au plus au point. Je ne veux pas perdre ma famille, entamer une transition longue et compliquée et surtout ne plus avoir ma grande soeur près de moi...
Je ne mange presque pas à cause de mes angoisses, et de mes sueurs froide. (j’ai faim, mais j’arrive pas à manger.)
Et d’autres choses, qui m’ont mener à penser au suicide, plusieurs fois.
Salut Aba,
Tout premièrement, je suis désolée qu’on n’ait pas pu te répondre plus rapidement. Nous avons été débordés cet été et nous travaillons fort à reprendre le retard accumulé. Ceci étant dit, je prends le temps qu’il faut pour bien te répondre, car ta question est importante et ta détresse tout à fait valide.
Tout d’abord, je vois que tu as beaucoup de craintes face à ton questionnement. C’est tout à fait normal, et assez commun. Tu mentionnes d’ailleurs avoir fait des lectures sur le sujet et j’imagine que tu as peut-être aussi écouté du contenu vidéo ou ce que les gens disent autour de toi. Rechercher de l’information est une très bonne initiative, mais il faut comprendre que c’est un sujet controversé dans la société d’aujourd’hui. Il y a, dans l’information disponible, beaucoup de gens qui, pour parler poliment, sont mal informés et ne font que répéter ou rationaliser de vieilles croyances et de vieux préjugés. Il y a donc parmi la bonne information beaucoup de contenu incomplet, erroné ou carrément mal intentionné. Je vais tenter de démystifier les éléments dont tu as parlé et j’espère que ça t’aidera.
Savoir si tu es trans ou pas est à la fois simple et compliqué. À la base, c’est un sentiment de soi, tout bonnement. Ça peut passer par la dysphorie(sentir que ton corps ou d’autres aspects de ta vie, en rapport au genre, ne correspondent pas à qui tu te sens être), de l’euphorie (se sentir heureux·se quand tu peux avoir une apparence ou une expérience qui correspond à qui tu te sens être) ou même s’exprimer un peu différemment ou subtilement. Chaque personne est différente, mais ces réalités se rejoignent sur le fait que ce sentiment est bien présent et ne s’en va nulle part.
Ce qui rend le questionnement plus complexe, c’est souvent la perception négative que plusieurs ont envers les personnes trans dans la culture et la société. Ces perceptions peuvent être intériorisées, donnant une perception négative de soi-même, ou être imposées par l’entourage, les institutions diverses de la société et même les lois. Ce qu’il faut retirer de tout ceci, c’est qu’il est tout à fait raisonnable, face à ces embûches, d’avoir de la difficulté à savoir comment et qui tu te sens être.
Par exemple, l’idée qui veut qu’on puisse penser qu’on est trans à cause de l’influence des autres, autrement dit qu’il est possible de « rendre une personne trans », est fausse. C’est une perception exagérée de l’effet de pression sociale qui ne tient d’ailleurs pas en compte à quel point il y a beaucoup de pression contre « l’être trans ». Parler de l’identité de genre et la rendre visible permet aux gens de se questionner à ce sujet et voir quel est leur ressenti intérieur réel. C’est tout.
Donc, je ne crois pas qu’avoir des amis trans ou LGBTQ+ t’a poussé vers une conclusion hâtive. Cela t’a plutôt permis de te questionner. Il est aussi fort possible, d’un autre point de vue, que tu aies gravité vers eux à cause de ton questionnement interne puisque leur présence et leur existence te permettent de te sentir plus en sécurité pendant que tu examines comment tu te sens. Oui, il est possible que tu ne correspondes tout simplement pas à la masculinité toxique et que ta masculinité soit différente sans que tu sois trans, c’est vrai. Mais il est aussi tout à fait possible que la masculinité ne te corresponde pas et que tu t’en éloignes parce qu’en fait, ce n’est pas une identité qui te correspond. Je ne vais pas te dire que tu es ou n’es pas transgenre, car c’est ultimement toi qui vas le savoir.
Tu as mentionné que tu avais peur que ton angoisse « dure éternellement ». Il est vrai que dans les moments où on se sent vraiment mal et angoissé, il est difficile de s’imaginer que les choses puissent aller mieux, mais crois-moi, c’est possible. Si tu es effectivement une personne trans, sache que la transition est reconnue et démontrée comme étant la bonne manière de réduire ce mal être et cette angoisse qu’on ressent quand on se sent ne pas être dans le bon corps ou dans le bon genre. Je ne vais pas mentir et dire qu’une transition règle tout presque comme par magie, mais clairement ça permet de se sentir mieux et d’évoluer vers le bien être.
Puisque je viens de parler de transition, parlons de ce que c’est. Rien, et je dis bien « rien », ne devrait être considéré comme obligatoire dans une transition. Certaines personnes croient que c’est le cas, qu’il y a une manière correcte de transitionner, qu’il faut la faire de telle ou telle manière pour être une vraie personne trans, mais moi, je te dis le contraire. Cette vision que je viens de décrire, on la nomme « narratif trans » (voici une référence à une autre réponse dans laquelle j’en parle).
En fait, on peut diviser la notion de transition en plusieurs catégories et chacune est composée de plusieurs choses que tu peux faire ou ne pas faire. Dans tous les cas, il faut t’écouter, aller à ton rythme, et faire ce qui te correspond.
La transition dont on parle le plus, c’est la médicale. Pour les adolescents, c’est généralement des bloqueurs de puberté qui sont utilisés et qui ne font que mettre le processus de transformation du corps par la puberté en pause. Je dis bien une pause, parce que si on arrête de les prendre, le processus de puberté se remet en marche normalement. Il y a aussi l’hormonothérapie, qui consiste en des hormones et/ou des bloqueurs (par exemple, prendre des estrogènes et bloquer la testostérone). Pour faire simple, le corps de tous les humains peut réagir aux hormones féminines ou masculines, quelque soit le sexe assigné à la naissance, et l’hormonothérapie ne fait que changer quelle hormone est présente pour obtenir plusieurs changements associés (féminisation ou masculinisation, selon le cas). Aucun de ces traitements n’est obligatoire. Plusieurs personnes trans font une hormonothérapie, mais certaines non et si c’est leur propre choix, c’est tout à fait correct.
Dans la transition médicale, il y a aussi les chirurgies. Dans le cas d’une transition féminisante, les plus courantes sont l’épilation permanente (retirer les poils du visage, par exemple), l’augmentation mammaire (il ne faut pas oublier que l’hormonothérapie peut amener une croissance de ce côté, variable selon chaque personne) et la vaginoplastie (la création d’un néo-vagin à partir des organes génitaux présents). J’insiste encore une fois, rien de tout cela n’est obligatoire. Par exemple, certaines vont choisir de faire une chirurgie génitale et d’autres vont être tout à fait à l’aise de garder leur pénis. Et dans les deux cas, c’est correct. N’en déplaise aux détracteurs.
Il y a aussi la transition sociale. Ici, il est question de comment tu interagis avec la société et comment tu te présentes à elle. La transition médicale l’influence un peu en changeant l’apparence, mais il y a plusieurs autres moyens de la faire et il est possible de ne rien faire de médical. L’expression de genre est l’élément principal de cette partie de la transition. Il est question ici de comment tu te présentes, donc on parle de vêtements, de maquillage (en mettre ou pas et comment), d’accessoires, de coupes de cheveux, etc. Certaines manières d’agir, démarches ou comportements sont aussi considérés comme genrés par plusieurs et peuvent être utilisés dans l’expression de genre. À ce point-ci, je sais que je me répète, mais rien n’est obligatoire ou prescrit. Certaines personnes vont exagérer leur expression, surtout au début de la transition, et c’est tout à fait normal. D’autres vont avoir une expression qui n’est pas en tout point féminine ou masculine, et au 21esiècle ça ne devrait plus être un problème. Oui, je crois qu’une femme portant une belle robe et qui fait des blagues grivoises ou qui a des jambes poilues n’est pas problématique ou inconsistante. Elle est elle-même, si c’est comme cela qu’elle se sent bien.
Il a aussi de choisir si tu es « out » (ton identité de genre est connue et montrée aux autres) et où tu l’es. Certain·e·s vont faire un coming out à toustes et d’autres vont le faire sélectivement, choisissant les milieux où c’est nommé et les autres où ça ne l’est pas. Par exemple, tu peux être out avec tes amis, mais pas au travail ou avec d’autres personnes proches de toi. C’est généralement une question de sécurité et évidemment il y a toujours la possibilité que l’information se propage malgré toi. Telle est la nature des secrets. C’est une décision à bien réfléchir et gérer.
Finalement, il y a la transition légale. Ici, il est question de changer la mention de genre et/ou ton nom dans tes documents officiels. Les procédures dépendent d’où tu habites et aussi de ton âge. C’est un droit qui est de plus en plus reconnu et j’espère que les choses vont continuer de s’améliorer de ce côté. Pour plusieurs, c’est un changement important pour plusieurs raisons.
Dans l’absence d’un tel changement, il est possible de changer son nom d’usage sans le changer légalement, car il suffit simplement de demander aux gens autour de toi d’utiliser un nom et des pronoms différents. Certain·e·s vont respecter ce choix, d’autres moins. Certaines entreprises ou institutions vont aussi mettre en place un moyen de changer le nom d’usage dans les documents internes, une pratique qu’il serait bon de voir se répandre partout.
Ouf. C’est tout un bloc d’information, et j’ai essayé de m’en tenir à l’essentiel. J’ajouterais qu’une transition, si ta réflexion t’amène à la conclusion que tu es trans et que tu veux en faire une, doit aller à ta vitesse et selon tes besoins. L’important, c’est de faire ce que tu choisis de faire pour toi (pas parce que tu te sens obligé de le faire) et de le faire quand tu es à l’aise de le faire (tu peux aller lentement ou attendre pour certains éléments que tu veux changer). L’important, c’est d’être bien ou de faire des changements pour se sentir mieux.
Passons maintenant à autre chose. Tu as mentionné que tu as peur de perdre tes liens avec ta famille et ta sœur en particulier. Je ne vais pas te mentir, c’est une possibilité et ça arrive à certaines personnes. Les réactions des gens sont difficiles à prévoir. Parfois, les gens que nous croyons assurément incapables de nous accepter nous surprennent, et d’autres fois, au contraire, ce sont les gens qui se disent tolérants qui ne le sont pas tant que cela. Il est préférable, pour éviter les mauvaises surprises, d’être préparé·e mentalement à des réactions variées.
Pour moi, la question la plus importante n’est pas de savoir si les gens vont mal réagir, mais plutôt qu’est-ce que tu vas faire face à ces réactions. Il y a l’aspect de ta sécurité personnelle à considérer, surtout si tu habites sous le toit de cette personne. Mais plus important encore, il faut te demander à quel point tu tiens à avoir ces personnes dans ton entourage si elles ne peuvent pas accepter qui tu es. Bien sûr, ici, je vais me garder de tracer la ligne de manière précise, parce que ça dépend de toi. À quel point ces personnes sont-elles importantes et à quel point ces liens sont-ils essentiels? Qu’est-ce qui est pire, garder des personnes qui ne t’acceptent pas dans ton entourage ou ne plus les avoir autour de toi? Ce sont des questions difficiles, je sais. Je crois, pour ma part, qu’il ne faut pas sous-estimer l’effet négatif des relations toxiques et des personnes proches qui nous attaquent sur qui nous sommes.
Certaines personnes coupent tous les contacts avec celleux qui refusent de les accepter et se créent de nouveaux liens avec d’autres personnes (l’idée de famille choisie me vient à l’esprit). D’autres vont garder le contact et faire un effort pour changer la pensée des gens ou vont ignorer les insultes, menaces et questions constantes. Et entre ces deux réalités, il y a pleins d’options dont s’éloigner, mais garder un certain contact et indiquer aux gens son ouverture à rebâtir les liens, s’ils font l’effort de s’éduquer et de travailler à accepter qui on est. Puisque tu es encore jeune, tu es un peu limité dans ce genre de choix pour le moment, bien sûr. L’important est de te rappeler que tu comptes et que tu n’es pas obligé de subir quoi que ce soit si tu ne le veux pas.
Tu as parlé de croyances religieuses dans ta famille, mais ce que tu n’as pas nommé et ce qui importe le plus, je crois, c’est ta propre croyance. Ce que j’essaie de dire, c’est que la croyance des autres ne devrait pas t’affecter dans tes propres choix. Si tu ne partages pas cette croyance, tu ne devrais pas la laisser t’influencer. Si c’est quelque chose qui est important pour toi, je me contenterai de dire que dans toutes les religions, il y a plusieurs interprétations et pratiques qui sont plus ouvertes à la diversité. Je doute que l’Islam y fasse exception, mais j’admets ici que je me fie sur ce que j’entends, car je ne suis pas moi-même musulmane.
J’espère que le temps qui s’est passé depuis que tu as envoyé ta question n’a pas été trop ardu. Je comprends qu’en ce moment, c’est très difficile, et je ne veux pas donner l’impression de diminuer ce que tu vis en disant quelque chose de positif, mais les choses peuvent aller mieux et j’espère que ma réponse ou d’autres personnes dans les organismes qui offrent de l’aide ou même des personnes de la communauté LGBTQ+ pourront t’aider à te trouver toi-même dans tout cela et te sentir mieux.
Si les choses ne vont vraiment pas bien, je te conseille de contacter une de ces lignes d’écoute ou un autre service similaire:
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- Ligne Azur (diversité sexuelle et de genre et détresse, appels et courriels, 8h-23h) : 0 810 20 30 40
- Suicide écoute (crises et pensées suicidaires, 24h) : 01 45 39 40 00
- SOS Amitié (période difficiles, appels et chat en ligne, 9h-23h) : 09 72 39 40 50
- SOS Suicide Phénix (crises et pensées suicidaires, appels et chat en ligne, 13h-23h) : 01 40 44 46 45
- SOS Homophobie (diversité sexuelle et de genre, ligne d’écoute anonyme et chat en ligne): 01 48 06 42 41
Je termine en disant que ton questionnement et que la personne que tu te sens sont valide.
J’espère que tu vas trouver ta réalité et pouvoir la vivre, quelle qu’elle soit.
Sophie (elle/she), bénévole pour AlterHéros