L'autorité morale du Vatican chute
La lettre que le pape Benoît XVI a adressée à tous les évêques catholiques du monde, le 10 mars dernier, laisse entrevoir le climat de désarroi qui doit régner derrière les murs du Vatican. Depuis janvier, le pape et le Vatican sont au coeur d’une tourmente planétaire sans précédent. Le mécontentement s’est manifesté aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Église catholique. Même certains épiscopats influents, comme ceux de France, de Suisse, d’Allemagne et d’Autriche, sont montés aux barricades pour critiquer publiquement le Vatican.
Cette tempête de critiques a repris de la force lors du voyage que Benoît XVI vient d’effectuer en Afrique. Ses propos contre l’avortement médicalisé (en référence à l’article 14 du Protocole de Maputo, en Afrique) et contre l’usage du préservatif, qui aggraverait, selon lui, le problème du sida, ont généralement été très mal accueillis à travers le monde. Rappelons que cette période de turbulence extrême a débuté avec la levée de l’excommunication des quatre évêques intégristes survenue dans le contexte de la diffusion des propos de l’évêque Williamson qui niait l’existence des chambres à gaz et l’ampleur de la Shoah.
Les polémiques se sont par la suite succédé: la contestation, à tous les échelons de l’Église autrichienne, de la nomination de l’ultra conservateur Gerhard Maria Wagner, comme évêque auxiliaire de Linz; la controverse autour du décès de l’Italienne de 38 ans, Eluana Englaro, dont le père avait obtenu par une décision de la Cour de cassation, le droit d’arrêter de maintenir artificiellement en vie sa fille, dans le coma depuis 17 ans; l’indignation généralisée suscitée par l’excommunication, au Brésil, de la mère et de l’équipe médicale qui a procédé à l’avortement de la fillette de neuf ans, enceinte de jumeaux de son beau-père qui la violait.
Une autorité morale en chute
Le type de réactions, leur provenance et leur ampleur sont des indicateurs que l’autorité morale de Benoît XVI et du Saint-Siège (le gouvernement central de l’Église catholique) est en train de chuter au sein de la communauté internationale et dans plusieurs régions du monde. Par sa façon de réagir, le Vatican apparaît comme une institution dont le pouvoir est de plus en plus ébranlé au sein même de l’Église. De plus, ses réflexes habituels de défense ne facilitent pas son adaptation au phénomène contemporain de la mondialisation de la communication instantanée, rendue possible par l’Internet. Pourtant, depuis plusieurs années, le Vatican possède un des meilleurs sites Web (le chinois vient d’être ajouté aux sept autres langues du site) et, depuis janvier dernier, il dispose de sa propre chaîne vidéo sur YouTube. Depuis 1964, suite à la demande des Pères du Concile Vatican II, il s’était aussi doté d’un organisme pour les communications sociales. Dans sa lettre aux évêques, tout en reconnaissant ce problème de communication, Benoît XVI a précisé qu’à l’avenir le Saint-Siège portera davantage attention à cette source d’information de l’Internet.
Une Église pyramidale remise en question
Dans ces polémiques, ce n’est pas tant l’autorité du successeur de Pierre dans l’Église qui est contestée que la manière dont le pape et, par procuration, les dirigeants de la Curie romaine l’exercent aujourd’hui. Cette forme d’autorité au Vatican, qui est accentuée sous le pontificat de Benoît XVI, est tributaire d’une conception dogmatique, moralisatrice, monarchique et disciplinaire de l’Église. Dans cette vision, l’Église y est présentée ainsi: d’abord le pape, puis les évêques, les prêtres et enfin l’ensemble des fidèles. La communication ne s’y fait qu’à sens unique, soit du haut vers le bas.
Or, ce n’est pas cette vision de l’Église qu’a retenue Vatican II. La constitution conciliaire sur L’Église la présente plutôt comme le Peuple de Dieu au sein duquel les évêques et le pape assument une charge pastorale de service. C’est donc à titre de «Serviteur des serviteurs de Dieu» que le pape, assisté de la Curie romaine au Vatican et en collégialité avec les évêques du monde, est appelé à gouverner l’Église catholique. Ici, la communication doit se faire dans les deux sens.
Il ne faudrait donc pas perdre de vue que, dans les présentes polémiques et controverses, c’est une partie importante et significative du Peuple de Dieu qui s’exprime. Selon la constitution conciliaire sur L’Église dans le monde de ce temps, l’Église (Peuple de Dieu) a le devoir d’interpréter les signes des temps à la lumière de l’Évangile, de telle sorte qu’elle puisse répondre, d’une manière adaptée à chaque génération, aux questions éternelles des humains. Il importe ainsi, que l’Église connaisse et comprenne ce monde, ses attentes, ses aspirations et son caractère souvent dramatique.
Le temps n’est-t-il pas venu pour un concile Vatican III ?
Luciano Dorotea, ex-représentant du Québec à Rome