Transition et ethnie non-blanche dans pays blanc
Bonjour, il y a plusieurs années, j’avais envoyé deux messages au dispositif Alter Héros (et d’ailleurs, merci encore, vous faites un travail formidable). J’ai pas mal évolué depuis, et je refais appel à vous parce que j’ai plusieurs questionnements dont je ne sais pas quoi faire, ou encore à qui adresser (et aller dans des assos IRL me fait assez peur).
Pour commencer, j’ai eu de longues phases de questionnements/tests dans mon identité et expression de genre, en passant par du masculin à du neutre. Cependant, le plus gros problème qui m’a fait « détransitionner » est que les personnes trans et les représentations physiques autour de moi sont majoritairement blanches ou occidentales. Et je suis d’ethnie asiatique, vietnamienne. J’ai vécu dans une famille blanche une grande partie de ma vie, entourée par des blancs occidentaux, africains du nord et très peu d’asiatique, je ne saurais pas dire quelle est ma culture dû à ça, je ne m’y identifie pas vraiment.
Le problème étant ; je n’ai jamais eu de représentation trans ou même masculine asiatique. Quand je pensais à une transition, je pensais aux transitions occidentales, avec de la barbe, une peau blanche et un gros gabarit. Je ne savais même pas à quoi je ressemblais, je me visualisais blanche. Pendant longtemps, je me suis identifiée en tant qu’androgyne (et c’est encore le cas), c’est plus simple à expliquer, c’est plus simple à vivre, et mon physique y colle plus ou moins.
Et depuis peu, j’ai pris conscience de ce problème, de cette visualisation fausse. Et je crois que j’aimerais transitionner. Une chose est toujours restée c’est la torsoplastie ou réduction mammaire. C’est la seule chose que j’ai gardé, en me disant qu’une réduction mammaire ça « passe ». Mais là, récemment, un ami a commencé à me parler des avancées de sa propre transition – il va bientôt prendre de la testostérone et se faire opérer du torse, et c’est vraiment génial pour lui !
Et là j’ai eu une sorte de déclic – j’ai commencé à regarder plus de références asiatiques (aussi parce que je suis tombé dans le thinspiration et le contenu pro-ana, ainsi que dans le trouble associé car les thinspos sont faites parfois pour représenter un certain physique, mais ça a étrangement aidé), et je me suis enfin représenté en tant qu’asiat ? Et ça aide ?
Et en fait, je me dis, je pourrais vivre en tant que femme, j’ai pas envie qu’on me prenne la tête avec mon genre, mais en même temps c’pas vraiment moi. Et pis j’aimerais bien prendre de la testostérone, j’aimerais bien faire une opération du torse et devenir plus masculin. Et j’ai aussi très récemment réalisé que j’existais, que j’avais des goûts, des envies et que mon style vestimentaire ne me convenait pas vraiment. (J’ai un style plutôt streetwear assez banal, mais au moins je me fais pas aborder dans la rue, cependant j’aimerais beaucoup me tourner vers un style plus pastel, assez ample et légèrement plus « cute » – j’ai tapé cute clothes sur pinterest, mais je ne connais vraiment pas le nom de ce style, j’y connais pas grand chose en habits)
Et là je réalises que j’aimerais, mais en même temps je suis pas sûr parce que j’ai « détransitionné » et que c’est compliqué d’avoir accès à tout ça (même en temps qu’adulte), que j’ai pas envie de me faire harceler, attaquer pour ça (je dis souvent que « j’ai la flemme » d’avoir le négatif, c’est plutôt une peur). C’est l’une des raisons pour lesquelles je ne suis jamais allé à une pride, ou même ai pris contact avec une asso.
Et je sais pas trop quoi faire. Pis le prénom c’est un truc chiant aussi ? J’ai et j’utilise Masha depuis deux ans, j’arrive à peine à faire l’accepter à mon entourage parce que c’est « qu’un » nom d’usage, mais si je change je reprendrais peut-être mon nom de naissance (et pas celui occidentalisé, apposé par mes parents adoptifs), mais la question de la prononciation se pose. Et je sais pas quoi faire de ces informations ?
J’ai un binder, j’aimerais le mettre mais j’ai des problèmes de dos, mais je sais que j’ai eu une sorte d’euphorie avec ça. Mais en même temps, j’ai du mal avec le pronom il parce qu’il a une connotation d’homme et homme pour moi c’est homme occidental. Et je suis paumé ? Je sais pas quoi faire, je sais que je pourrais pas faire grand chose avant des années (pas d’argent pour les vêtements par exemple) et j’ai peur que tout le monde me dise « non » ou le prenne mal ? Et à côté j’aimerais être « plus féminine » (porter des robes ou des jupes) mais je me vois pas le faire avec ma poitrine actuelle ? (j’ai une très grosse poitrine qui me donne des maux de dos et j’en souffre physiquement et mentalement)
Et pis mes parents veulent pas. Fin, mon père arrive déjà pas avec le nom d’usage, ma mère m’a réfréné dans mes premiers questionnements (vers juin/juillet 2022) en me disant que ça lui faisait mal (celle qui m’a le plus poussé vers la féminité physique…), et pis j’ai pas envie d’emmerder mes proches avec ça.
Et pis et si politiquement ça allait mal et on perdait nos droits ? Ou bien une guerre ? J’ai envie de vivre, maintenant que je le ressens, mais j’ai encore la représentation de la masculinité de manière occidentale qui m’embête (j’ai très peur des « hommes affirmés » en terme de genre, j’ai peur d’être ça et la représentation me va pas, j’ai pas peur des hommes littéralement hein), et je suis pas vraiment sûr de si ça « m’irait » ? Et je sais pas, c’est emmêlé dans ma tête. Je commence à peine à faire des choix et à penser par moi-même après 16 ans de traumas sur traumas, conséquences de ceux-ci, environnement toxique et j’en passe. Je ne savais même pas ce que ça faisait de ressentir une émotion ? Est-ce que c’est pas précipité comme choix ? Je me demande ça à chacun que je fais (que ça aille d’un plat à un vêtement que j’achète, ou encore les cours). Parce que je suis une sorte de structure d’identité par laquelle les gens me connaissent et m’identifie ? Et donc là en sortir c’est bizarre ? Et si j’en sors est-ce que je vais pas souffrir ? C’est la structure qu’on m’a apposé et imposé. Et transitionner ou être trans est une sorte de choix qui va à l’encontre de celle-ci.
Je suis vraiment désolée de la longueur du message, le contexte et les doutes ça rajoute des phrases, j’espère ceci-dit que c’était clair, et merci d’avance si vous prenez la peine de me répondre !!
Masha
Bonjour Masha,
Merci beaucoup de nous avoir recontactés, ça fait vraiment chaud au cœur de voir que tu fais confiance à notre équipe et nos services ! Je vais faire de mon mieux pour répondre à tes questions. D’ailleurs, j’espère que ça te va si j’utilise le pronom “elle” et les accords féminins quand je me réfère à toi, vu que c’est ce que tu as mis dans le formulaire.
Pour commencer, tu me dis que tu te questionnes sur ton identité de genre et que le manque de représentation des personnes transmasc asiatiques rend ton questionnement particulièrement difficile. Ce manque de représentation t’empêche de complètement explorer qui tu es. De plus, tes parents ne comprennent pas ce que tu vis, ce qui rend cette situation encore plus compliquée.
En même temps, tu te questionnes sur la nécessité de t’identifier comme personne trans ou de faire une transition médicale (réduction mammaire et testostérone) puisque tu ne veux pas gérer le harcèlement qui pourrait venir avec. Tu viens donc vers nous en te demandant comment gérer toutes ces situations et pensées contradictoires, c’est bien ça ?
Ça fait beaucoup de sens d’avoir de la difficulté à se comprendre quand on ne voit aucune représentation à laquelle on peut vraiment s’identifier. Et le fait que tes parents te soutiennent plus ou moins, ça peut rendre la découverte de soi encore plus complexe sans un niveau de validation qui manque de la part de ta famille.
Étant donné que tu es encore mineure et que tu vis chez tes parents, c’est normal que tu aies l’impression d’être coincée, comme si tu avais peut-être tort d’avoir même commencé cette exploration, et que tu dois rentrer dans le moule que ton entourage te propose (je me réfère particulièrement à ton dernier paragraphe).
Parfois, ce moule peut vraiment sembler comme la seule solution quand personne ne comprend comment tu te sens, et parfois, ça peut être la meilleure chose à faire en attendant d’avoir accès à un environnement plus sécuritaire et inclusif. Mais tout cela reste tout de même très angoissant, et tu n’es vraiment pas la seule à te sentir bloquée dans ton exploration identitaire.
D’un autre côté, beaucoup de pays en ce moment rencontrent une hausse du niveau de transphobie, ce qui fait vraiment peur en tant que personne de la communauté queer (2SLGBTQIA+). Il peut sembler impossible d’être visiblement queer en public et même simplement d’exister sans avoir cette peur constante que quelque chose puisse nous arriver. C’est un poids très lourd à porter. Mais encore une fois, tu n’es pas seule, et tu n’as pas à rester seule avec tout cela non plus.
Tu as mentionné avoir trouvé de la représentation asiatique en ligne, mais étant donné qu’elle est associée à la thinspiration, je m’inquiète de l’impact qu’elle pourrait avoir sur la façon dont tu perçois ton corps (surtout en tant que personne qui s’interroge sur son identité de genre). Voici un compte que j’ai trouvé et qui pourrait te plaire par une personne asiatique transmasc : @chellaman.
Si tu parles anglais, il y a aussi le subreddit Transmasc sur Reddit où j’ai remarqué que quelques personnes ont fait des commentaires sur le fait d’être asiatique et transmasc, donc ça pourrait être intéressant d’avoir au moins quelques personnes en ligne avec qui parler. J’imagine qu’il y a aussi des personnes asiatiques transmasc sur TikTok. Y as-tu jeté un coup d’œil ?
Lorsqu’il s’agit d’accéder à la testostérone et aux chirurgies transaffirmatives, du moins au Canada, il faut souvent des mois ou des années pour rencontrer un.e spécialiste. Si possible, je te recommande donc de prendre rendez-vous et de voir si tu peux être au moins ajouté à une liste d’attente. Cela te laissera du temps pour continuer à réfléchir à ton besoin/désir de transitionner médicalement, et tu peux toujours décider de te retirer de la liste d’attente si tu préfères ne pas continuer sur cette voie.
En ce qui concerne le binder et tes douleurs au dos, je pense que ce qui importe le plus, c’est ton niveau de confort. Si le binder accentue tes douleurs au dos, il est préférable d’utiliser d’autres articles transaffirmatifs ou d’ajuster le binder que tu as déjà (ou d’en acheter un nouveau qui soit mieux ajusté). Il existe également un article appelé « trans tape » qui ne semble pas causer de douleurs au dos, car il est appliqué davantage sur les côtés et l’avant du corps. Il vient avec ses avantages et inconvénients.
Voici un PDF super utile qui explique comment appliquer un binder ou du trans tape.
Parallèlement, ce n’est pas impossible si ton identité de genre ne correspond pas à ton expression de genre. Ton genre, ce que tu ressens à l’intérieur de toi, n’est pas toujours lié à ton apparence, ni à ton sexe assigné à la naissance. Et comme tu l’as mentionné, si tu veux paraître plus féminine tout en t’identifiant comme transmasc, tu as tout à fait le droit de le faire.
Dans la communauté non binaire (je pense que ce terme est également utilisé dans la communauté trans en général), il existe le concept de présentation masculine et féminine, parce qu’être non binaire ne signifie pas seulement avoir une apparence androgyne. Cette flexibilité est importante et nécessaire, car tout le monde n’est pas pareil. C’est la beauté d’être humain.e.
Malheureusement, le monde va essayer de te catégoriser et de te mettre dans une boîte, mais tu es la seule personne qui sait qui tu es et comment tu te sens à l’intérieur. Et les personnes qui sont tes vrais ami.e.s respecteront tes pronoms, le nom que tu utilises et ton identité, quelle que soit ton apparence. Une grande partie de la vie consiste à découvrir qui tu es et à perdre en chemin des personnes qui ne te comprennent pas ou ne t’acceptent pas, mais aussi à trouver de nouvelles personnes qui t’aiment pour ce que tu es.
Il est tout à fait logique de craindre les violences et de ne pas vouloir perdre ses droits en tant que personne queer. C’est malheureusement un problème auquel la communauté est confrontée depuis très longtemps. C’est pourquoi il est important de savoir que tu n’es pas obligé de faire ton coming out à qui que ce soit, surtout si cela peut te mettre en danger.
De nombreux adolescent.e.s queers attendent de quitter la maison familiale pour commencer leur transition, à cause du manque de soutien de leur entourage. Il s’agit surtout de trouver la démarche qui a le moins d’effets négatifs pour toi. Tu n’es pas obligé de le dire à ta famille ou à des inconnu.e.s, mais tu peux le dire à des personnes en qui tu as confiance, à tes ami.e.s, à un.e adulte de confiance, pour avoir au moins un espace sûr où tu peux être toi-même.
Tu mentionnes avoir vécu une détransition. La détransition n’est pas nécessairement une expérience négative en soi, car le fait d’explorer son identité de genre et de se rendre compte qu’une certaine identité ne nous convient pas en dit beaucoup sur notre désir de découvrir qui nous sommes.
Malheureusement, la principale raison que des personnes détransitionnent est un manque de soutien. C’est arrivé pour moi au secondaire (lycée), et c’est possible que ce soit le cas pour toi aussi. Si tout ton entourage acceptait ton identité transmasc, est-ce que tu serais toujours transmasc? C’est une bonne question à se poser. Mais c’est aussi tout à fait correcte de découvrir qu’en fait, être trans ne concorde pas vraiment avec qui tu es.
Lorsqu’il s’agit de perdre des droits, c’est malheureusement une réalité à laquelle les personnes queers doivent souvent penser. C’est un risque, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de solution. Souvent, on peut atténuer cette peur en étant entouré de personnes queers qui sont prêtes à s’unir et à se soutenir mutuellement. Se rendre à un défilé pride et à des manifs permet également de trouver un certain pouvoir tout en prenant des mesures concrètes. Le plus important est de ne pas rester seule avec ce sentiment, car il peut vraiment s’accumuler, surtout si ton entourage ne comprend pas ce que tu ressens.
C’est pourquoi, je pense que tu gagneras vraiment à rencontrer d’autres personnes dans des organisations queer, des lieux où les queers se rassemblent, ou en participant à des événements, car iels pourront certainement t’aider à te sentir moins seule, te donner des ressources, ou même te recommander des figures transmasc asiatiques! Dans la région de Marseille, il y a le centre LGBTQIA+, si c’est accessible pour toi.
En bref, j’espère que tu as un groupe de personnes qui te comprennent et te soutiennent, et que tu prennes ton temps à explorer ce que tu aimes et n’aimes pas, que ce soit avec ton style vestimentaire, ton binder ou trans tape, de la testostérone ou une réduction mammaire, des noms ou pronoms différents, c’est tellement correcte d’essayer tout cela. En fait, c’est le moment maintenant!
Voici le lien du PDF en question
Le centre LGBTQIA+ de Marseille
Le TransTape
@chellaman sur Instagram
J’espère que ma réponse pourra t’offrir du réconfort dans cette période tumultueuse de ta vie. N’hésites pas à nous contacter encore si tu en ressens le besoin! Nous sommes là pour toi.
Lorena (iel)