Serait-il possible de concilier mes pratiques BDSM et mes relations vanilles en utilisant pleinement mon corps après une vaginoplastie?
Bonjour, je reviens une troisième fois vers votre équipe pour une toute autre question.
C’est un peu délicat mais en fait il y a plutôt deux questions en relation avec le même sujet.
(T.W : cela va parler un peu de violences, ainsi que de sexualite, sujets qui peuvent donc être sensibles voire tabous pour mal de monde.)
J’aime et pratique le BDSM depuis quelques années maintenant (à un niveau plutôt intermédiaire entre le soft et le hard), en plus d’avoir une sexualité vanille avec ma moitié et quelques autres personnes (le tout avec des rapports protégés et le consentement au préalable des diverses personnes bien entendu).
Après une pause suite à des épisodes de dysphorie et une perte de repères sur plusieurs sujets, j’ai repris la pratique du BDSM et cela m’apporte beaucoup de calme et de sérénité, en plus de pouvoir me réapproprier mon corps (chose que j’ai eu énormément de mal à faire suite à un viol, des violences collectives étant plus petite et bien sûr les jugements de la norme sur la différence…)
Seulement (je vais venir à mes deux questions) je suis une fille trans et pas encore totalement opérée en bas (rectification prévue dans l’année), le premier point du problème étant qu’une fois que la « villaine saucisse » soit recyclée en abricot j’aimerais pouvoir en profiter pleinement (ainsi que probablement mes divers.espartenaires), mais j’ai un peu peur qu’il soit « abîmé » ou pire détruit si jamais on y va trop fort avec…
J’aimerais également utiliser cette partie de moi dans les 2 cadres (même si je sais qu’entre les soins et l’apprentissage des sensations et fonctionnement du vagin il va falloir prendre le temps).
En attendant l’opération, j’ai des rendez-vous par visio avec un sexologue, je me dis que je devrais lui en parler afin d’avoir des conseils ou pistes de réflexions seulement j’ai peur qu’il puisse avoir des préjugés sur le fait que j’ai une sexualité « alternative »(qui par ailleurs n’est pas toujours génitale) et que le BDSM est entouré de clichés et peut donc être considéré comme de la perversion pour beaucoup.
Du coup :
1) Serait-il possible de concilier ces deux aspects de ma sexualité en pouvant utiliser pleinement mon corps? (surtout mon vagin « sans risques » dans chacune d’entre elles?)
2) J’aimerais avoir quelques conseils du sexologue sur ma sexualité assez kinky, dois je prendre le risque de lui en parler ou attendre d’être opérée et en parler ensuite de manière plus « posée » peut être avec un autre professionnel de santé sexuelle et émotionnelle ?
Je vous remercie d’avance pour le temps consacré à la lecture et peut être future réponse de mes questions. (Par ailleurs, je remercie plus spécifiquement Émilie Grandmont pour sa réponse et son aide apportée à ma dernière question ).Luna
Salut Luna,
Ta métaphore de saucisse et d’abricot m’a fait sourire. C’est une belle approche que d’utiliser l’humour pour parler de cette chirurgie que tu sembles attendre avec beaucoup d’anticipation.
En supposant que ta vaginoplastie se passe bien et qu’il n’y a pas de complications (qui sont, somme toute, assez rares), ma réponse est : oui, je crois bien que tu pourras utiliser ton vagin sans trop te limiter dans ta sexualité vanille et dans ta pratique du BDSM.
Comme tu sembles déjà le savoir, il faut attendre un certain temps après la chirurgie avant d’avoir des relations sexuelles pénétratives. En général, la recommandation des chirurgien·nes est d’attendre au moins trois mois avant les relations pénétratives. Il faut aussi attendre que la guérison soit bien avancée ou même terminée avant d’expérimenter avec le toucher et la masturbation. Personnellement, je trouve cette recommandation raisonnable. Dans ceci et dans tout le reste, la prudence et la patience sont de mise. Une guérison bien faite vaut, à long terme, l’effort de se limiter un peu à court terme.
Ces délais dépendent bien sûr de chaque individu, car la guérison et le temps qu’elle prend peuvent varier un peu. Au bout de ces trois mois, il est possible que ta guérison ne soit pas tout à fait terminée. Il est préférable, quand tu commences à expérimenter, d’y aller lentement. De plus, il y a effectivement un réapprentissage à faire. D’un côté, il y a les nouvelles sensations et comment elles te font réagir, dans ton corps et dans ta tête. Ici, tu vas être un peu comme une adolescente qui découvre son propre corps, car bien des choses seront nouvelles pour toi. De l’autre côté, il y a tes nerfs qui vont possiblement avoir besoin de s’habituer à leur nouvelle réalité. Certaines, par exemple, ont une hypersensibilité qui peut même causer des douleurs au début. Dans un tel cas, c’est par habituation et pratique que tout devient normal et que l’hypersensibilité s’estompe.
Le terme BDSM englobant toute une panoplie de pratiques, je ne sais pas exactement ce que tu as en tête en posant ta question, mais je crois pouvoir supposer que tu réfères à des pratiques impliquant des comportements plus « hard » et de la douleur quand tu dis avoir une crainte « d’y aller trop fort avec ». Règle générale, je te recommande donc d’attendre un peu plus longtemps que les trois mois recommandés avant d’expérimenter avec ces pratiques. Celles qui sont pénétratives, bien sûr. Pour les pratiques non pénétratives, j’attendrais au moins quelques semaines après ta chirurgie, jusqu’à ce que ton niveau d’énergie général soit revenu à la normale, car la guérison demande beaucoup de ton corps pendant un certain temps et il faut être douce avec celui-ci pendant cette période.
Plus spécifiquement, parlons d’une différence importante entre le vagin que tu auras et celui d’une femme cisgenre : la flexibilité. Les tissus du vagin d’une femme cisgenre sont capables de s’étirer au point de laisser passer la tête d’un bébé naissant. Sache que ça ne sera pas le cas pour toi. Bien qu’une vaginoplastie crée un vagin assez flexible et capable de prendre des insertions « normales », la limite sur la flexibilité des tissus internes est moindre. Toute pratique qui met cette flexibilité à l’épreuve serait donc à déconseiller ou, au minimum, à approcher avec beaucoup plus de prudence que ce qui est fait dans le cas d’une femme cisgenre. Je fais la comparaison parce que je suspecte que certaines personnes pourraient prendre les femmes cisgenres comme point de référence et supposer qu’avec de la pratique, tout est possible. Penser ainsi est potentiellement risqué pour toi.
La profondeur est aussi une limitation à considérer. Les chirurgiens font bien attention de ne pas promettre une profondeur spécifique, entre autres parce que le résultat dépend des tissus disponibles, du processus de guérison et de la qualité des soins post-opératoires, mais il ne faut pas non plus se le cacher, tous les vagins ont une profondeur maximale, qu’ils appartiennent à une personne cisgenre ou transgenre. Une personne ou un jouet trop long va donc se rendre jusqu’au fond et c’est ici qu’il faut faire attention. Une fois la guérison bien terminée, il restera que le « fond » de ton vagin va possiblement avoir une certaine sensibilité s’il est poussé trop fortement ou trop brusquement. Tout dépend de la personne, je crois, et ce n’est pas un sujet sur lequel il y a des tonnes de données. Note que pour les femmes cisgenres, une insertion trop grande peut aussi faire mal lorsqu’elle atteint le fond. La seule différence est que pour la femme cisgenre, le fond est le col de son utérus. Pour toi, il y aura un fond, c’est tout.
Il sera donc très important que tu aies, au tout début, lorsque tu expérimenteras, des partenaires particulièrement à l’écoute. Je sais que l’écoute devrait toujours être la base du BDSM, mais je crois qu’il est important d’avoir des gens qui ont un petit extra au niveau de l’écoute et de l’attention. Il faudra aussi avoir des discussions avec eux pour t’assurer d’éviter les gaffes qui pourraient te faire mal. Je ne crois pas que tu puisses « détruire » quoi que ce soit, mais il est certainement possible de te blesser ou te faire mal en explorant tes limites. Disons au passage que les personnes cisgenres ont aussi des limites et qu’il leur est aussi possible de rencontrer des problèmes s’iels ne font pas attention.
La deuxième partie de ta question porte sur comment en parler à un·e sexologue, et ici je ne vais pas trop me gêner pour y aller d’une opinion personnelle : les sexologues qui, aujourd’hui en 2023, considère encore que le BDSM est une déviance devraient, à mon avis, sérieusement penser à défaire ces vieux préjugés. Sinon, iels devraient au moins s’abstenir de prononcer des avis et conseils négatifs sur le sujet à leur clientèle et les référer ailleurs. C’est de mon propre domaine que je parle ici et je dois dire que les croyances négatives à l’égard du BDSM sont très dépassées. Il n’est plus d’actualité de pathologiser ces pratiques. Ceci étant dit, il est tout à fait correct et normal de parler de sécurité, de consentement et de s’assurer que les personnes qui s’intéressent à ces pratiques sachent faire la différence entre des comportements abusifs et des comportements sains. Il ne faut surtout pas ignorer le fait qu’il existe, malheureusement, des individus qui sous le couvert du BDSM ont des attitudes abusives qu’iels camouflent malhonnêtement comme étant normales. Alors oui, de bon·ne·s intervenant·e·s vont parfois sembler questionner certains éléments, mais ce sera fait pour la sécurité et le bien-être de leur clientèle et non pas par croyance que ces pratiques sont problématiques.
Pour la thérapie, je te dirais donc de ne pas te gêner de parler de tes pratiques BDSM, mais de garder en tête qu’il est possible que la personne devant toi ait une réaction négative ou qu’elle ne s’y connaisse pas. Dans un tel cas, ce sera à toi de juger, mais je crois que tu serais tout à fait justifiée de changer de thérapeute si tu sens que la personne avec qui tu travailles ne respecte pas ta réalité.
Sois prudente, soit patiente, et je te souhaite qu’après la guérison tout fonctionne … comme tu en as envie.
Sophie (elle/she), bénévole pour AlterHéros