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28 mars 2024

TÉMOIGNAGE: Amour de rue

Un témoignage d’une personne qui est tombée amoureuse d’un homme qui pratiquait la sexualité tarifée (prostitution / travail du sexe).

AlterHéros

Manuel, j’utiliserai ton véritable nom pour parler de toi, celui que tu m’as confié, sans doute était-il déjà fictif.
J’ai dans la tête ta rencontre et toutes les questions que je n’ai pas osé te poser. N’en pouvant plus de m’en défaire, je t’écris. J’ai le souvenir de ta peau sans barrière et de la rugosité de ton humeur. Ta voix éraillée de celui qui n’a pas dormi depuis quatre jours.
Prostitué.
À dix-neuf ans et deux parents décédés, vis-tu encore de rêves chez ta grand-mère, elle qui ignore tout de toi : pourquoi tu boites quand tu marches ou ces marques laissées par tes derniers clients, le fait que t’aimerais bien arrêter mais pour faire quoi alors?
Et ces grisonnants qui passaient la main dans tes cheveux à la sortie du bar alors que tu me dis : « est-ce que tu me paies le souper? » Je ne t’avais offert qu’un sourire sur mon passage, j’ignorais tout de toi alors, tu me semblais comme moi, perdu dans la nuit, dans ta jeunesse. Est-ce un travailleur social qui a fait irruption durant le repas pour t’offrir brutalement un endroit où dormir? «Goûte à la soupe à l’oignon du Club Sandwich, elle est bonne, prends-en au moins une cuiller.» (Je me suis senti gêné, comme pris en faute devant lui, mais de quoi? De m’interroger sur ce que tu es?)
J’ai la curiosité de mes vingt ans, mais la gêne d’aller seul dans un sauna. Et toi, tu ne voulais pas sortir seul de la chambre simple que j’avais payée. J’imagine par peur d’être harcelé. «Veux-tu faire quelque chose?» m’avais-tu demandé alors que nous nous y rendions. Non, seulement dormir. Ne pas être seul loin de me petite ville. Merci de ne pas avoir insisté. Simplement de t’être endormi à mes côtés.
Pourquoi m’as-tu choisi plutôt qu’un richard à la retraite?
La banquette faisait trois pieds. On s’y étale difficilement deux. Tu t’es assoupi en une minute, flambant nu, dans le silence entre deux chansons techno-house, sur les soupirs de nos voisins. Cette indifférence à la proximité des gens me sidère. Moi, je n’ai jamais pu dormir profondément contre mes amants. Mais je me sens bien contre ton corps, tranquille.
Je t’ai laissé tout l’espace. Je me suis couché sur le plancher. Parle-moi de tes cauchemars qui t’ont fait gémir avec violence dans le noir.
Je n’ai pas pu dormir. Par terre, j’essayais de comprendre la situation et ta présence, cela me bouleversait. Je pensais que tu devais être écoeuré des contacts. Tu m’as dit au matin: «tu aurais dû te coucher sur moi!»
Ton corps comme consommation ne m’intéresse pas. Et pourtant, Dieu sait que j’ai bandé contre ta chaleur. Te considérer comme Homme-objet me déshumaniserais, et toi du même coup, comme une poupée qu’on désire égoïstement. Je ne suis plus un enfant. J’aime ce qui vit. Je te préfère foisonnant de mille rires. Ma main sur ton front te rassurait-elle dans tes sombres délires?
Au matin, tu claudiquais encore et je faisais une bonne béquille. Nous terrassions les passants de nos élucubrations; la joie de vivre malgré mon pauvre portefeuille. Tu aurais voulu aller à la Ronde sur mon bras. Malgré ta jambe? Et c’est pour me faire plaisir que tu me tâtais dans la rue pour amuser la galerie, pour rendre les gens inconfortables?
J’ignore encore ce qui s’est passé cette journée-là entre toi et moi, je ne comprends pas bien mes sentiments, ni pourquoi je me pose tant de questions. Est-ce que j’étais simplement un client pour toi, même pas payant, que tu ne reverras jamais plus? Est-ce qu’on peut tomber amoureux d’un prostitué? Ou c’est de la pitié? Je m’ennuie de toi maintenant, sans pouvoir t’oublier.
En me quittant à ta station de métro, tu m’as volé notre premier baiser.

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