Je suis perdu entre l'identification de genre et l'orientation sexuelle
Bonjour,
J’espère que vous allez bien. Je vous écris car je suis actuellement dans un état de prostration et de détresse terribles et très handicapants (je suis suivi pour dépression) et je crois que c’est lié à des questions que je me pose sur l’identité de genre et l’orientation sexuelle.
Voilà, j’ai trente ans et je sens que j’arrive à un âge où plusieurs points introspectifs et rétrospectifs se présentent à moi.
D’abord, il y a eu tout au long de ma vie des questionnements sur mon orientation sexuelle. Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours eu une attirance pour les personnes de mon sexe et la promiscuité avec les garçons m’a toujours fait de l’effet. Dans le même temps, je tombais et tombe encore amoureux de filles. J’en parle aujourd’hui avec plus ou moins de sérénité, mais il faut savoir que de mes 10 ans à mes 25 ans, je le vivais comme une malédiction. Étant issu d’un milieu très religieux et communautaire, ma mère et mon père ayant souvent exprimé des idées homophobes, je pensais sincèrement que cette attirance pour les personnes de mon sexe était l’action d’un démon tentateur qui voulait me faire tomber dans le péché et je priais tous les soirs pour en être libéré. Et plus je repoussais ces pensées, plus fortes elles revenaient.
Pendant l’adolescence, il m’est arrivé de céder et de demander voire supplier à des amis garçons de me laisser les satisfaire sexuellement, ce qui était maladroit et provoquait des rejets violents. Et dans le même temps, je tombais vite amoureux de filles, mais je ne peux pas dire si j’étais attiré par elles physiquement.
Je n’ai pas eu d’histoire amoureuse avant mes dix-huit ans, et de mes dix-huit ans jusqu’à aujourd’hui, je n’ai eu d’expériences qu’avec des femmes (à l’exception de quelques baisées volés avec des garçons, je ne connais quasiment aucune personne gay ou bi revendiquée). Toutes les fois où j’ai voulu faire l’amour à une femme, je n’ai pas réussi à avoir une érection assez forte pour pouvoir la pénétrer (pardon si je suis un peu cru) et quand j’étais en couple, il m’arrivait bien souvent pendant le sexe de devoir fermer les yeux pour penser à des fantasmes homo.
Je pourrais me dire simplement que je suis un homo refoulé mais voilà : j’aime profondément la compagnie, la complicité et l’intimité que je peux avoir avec des femmes et j’aime par dessus tout partager mon quotidien avec elles. Aussi, je ne suis presque jamais tombé amoureux d’hommes.
D’aucun diraient que je suis hétéroromantique et sexuellement attiré par les hommes, mais comprenez que cette situation est assez invalidante pour pouvoir se projeter dans une relation. Voici pour l’aspect orientation sexuelle.
Maintenant il faut que je parle d’un autre aspect de moi que j’ai énormément de mal à assumer et à voir en face. Je crois que la question de l’identité de genre me trouble beaucoup. Pendant des années, je l’ai associée à mes doutes sur mon orientation sexuelle et il faut le dire, chez beaucoup l’exploration de son homosexualité passe par un jeu avec l’exploration du genre.
Quand j’avais 5 ans, je passais mon temps à jouer avec le maquillage de ma mère et à porter ses vêtements. Mais ce n’est pas passé avec le temps et toute mon adolescence, j’ai gardé ce besoin de travestissement. Jusqu’au jour où mes parents ont découvert des habits de femme dans mon placard, et à ce moment-là, j’ai ressenti une honte si forte que je n’ai plus recommencé. Plus tard, mon frère jumeau a raconté à tous nos amis cette histoire et la honte et le sentiment de ridicule vis-à-vis de moi-même s’est profondément gravé en moi. Aussi, je me souviens d’un épisode très marquant : un jour, j’avais huit ou neuf ans, j’ai vu le penis de mon grand-frère accidentellement (il sortait de la douche) et j’ai fondu en larmes en pensant que moi aussi j’aurai un penis développé et pubère.
Comme je le disais, j’ai longtemps associé tout cela à mon orientation sexuelle.
Mais voilà, il a fallu que j’emménage dans mon premier chez-moi à 27 ans pour que tout revienne. La première chose que j’ai faite a été de dépenser des centaines d’euros dans du maquillage, des crèmes et des vêtements féminins. Aussi, je me suis mis en contact avec un chanteur lyrique que je connaissais pour apprendre la technique du haut-de-contre et tous les jours, je travaillais ma voix pour la rendre la plus aiguë possible.
Je pensais vraiment que cette nouvelle autonomie (avoir son appartement) me pousserait à explorer la fréquentation des hommes, ce que j’ai un peu fait sans vraiment passer le pas, mais au final c’est vraiment l’exploration de ma féminité qui est ressortie.
Une autre anecdote, je suis prof depuis trois ans et je me souviens quand j’ai commencé, j’ai entendu plusieurs fois des élèves m’appeler madame sans faire exprès et cela provoquait en moi un sentiment de grande satisfaction.
Dernièrement, je me suis rendu compte que l’algorithme de mon moteur de recherche me prenait visiblement pour une femme lesbienne en me proposant des sites de rencontre ou des articles exclusivement écrits pour des femmes homos. Et je dois bien reconnaître que j’en ai éprouvé une forme de satisfaction.
Je pourrais en parler à des amis proches et ouverts où aller dans des lieux de rencontre pour personnes trans mais voilà : autant je ne me cache plus mon homo ou bisexualité, autant le questionnement de mon genre me jette encore dans un sentiment de malaise, de honte et de ridicule insurmontables.
Toutes mes tentatives de me travestir se sont soldés par le constat que je n’avais aucun « passing » et devant le miroir, je me sentais très mal à l’aise bien que tout seul.
Aussi, je n’ai vraiment mais alors vraiment rien de féminin et je me fonds sans difficulté dans les stéréotypes masculins (je ne suis pas non plus très masculin ni viril mais au moins je fais illusion).
J’aurais encore beaucoup à dire, je trouve ma situation très complexe et elle me cause bien du malheur, mais je crois que j’ai été déjà très (trop) long.
J’attends votre réponse,
Merci pour votre formidable travail.
Salut Zorgloub,
Merci pour ta confiance envers l’équipe d’AlterHéros et de ton partage. Je tiens à signifier que je suis sincèrement désolé du délai de réponse, en espérant que cela pourra tout de même t’aider. Ce que tu vis est profondément humain et tu as parfaitement le droit de te sentir perdu·e, tiraillé·e ou bouleversé·e par toutes ces questions. Je vais essayer de décortiquer tout cela, afin que tu puisses tenter d’y voir plus clair.
Tu décris une attirance sexuelle envers les hommes et une attirance romantique et affective envers les femmes. C’est une réalité vécue par de nombreuses personnes, parfois sous l’étiquette de bicuriosité, de bisexualité, de gay hétéroromantique, de pansexualité ou simplement sans étiquette. Tu n’as pas à forcer une case. Ce qui importe, c’est comment toi tu le vis. Ce que tu racontes de ton adolescence et de ton environnement religieux est lourd et on sent encore la trace de cette honte intériorisée. Ce n’est pas toi qui es brisé, c’est le système qui t’a fait croire que tu devais avoir honte de qui tu es. Et pourtant, malgré tout ça, tu continues d’explorer.
Tu es courageux·se!
Le fait de ne pas avoir d’érection avec les femmes, mais de fantasmer sur des hommes est aussi un indicateur important, qui mérite d’être exploré non pas comme une « défaillance », mais comme une boussole corporelle qui t’envoie des messages. Il est crucial d’écouter ton corps et s’il te dit que la sexualité avec les femmes ne te satisfait pas, alors il est peut-être temps d’écouter cette petite voix et chercher à trouver ce qui te plaît, en dehors des normes et des idéaux religieux.
Ton récit est empreint d’une forme de dysphorie, à la fois passée et actuelle : ce malaise avec ton corps, cette honte liée au travestissement, cette satisfaction profonde quand on te genre au féminin, ou encore ce désir de féminité réprimé, puis réémergent. Tu te décris comme quelqu’un qui « ne passe pas » et qui « n’a rien de féminin ». Pourtant, tu dis que l’exploration de cette féminité te soulage, qu’elle te fait du bien. Et c’est là qu’il y a quelque chose à écouter. Ce n’est pas au regard des autres de valider ton genre. C’est ton ressenti qui compte. Certaines personnes vivent cette tension sans forcément vouloir ou pouvoir effectuer une transition. D’autres trouvent un apaisement en explorant un genre fluide, non binaire, ou en transitionnant partiellement. Il n’y a pas une seule façon « d’être trans » ou de vivre sa féminité. Et tu n’as pas besoin de « preuve » pour explorer ces pistes. Ton vécu suffit. Ton histoire est déjà pleine de sens.
Tu n’es ni ridicule, ni « faux.sse », ni « trop confus·e ». Tu es quelqu’un.e qui porte un vécu complexe, dans une société qui offre peu de repères à celleux qui ne rentrent pas dans les cases. Ressentir du malaise dans ce processus est normal. C’est douloureux, mais ça ne rend pas ton ressenti illégitime. Et tu n’es pas seul·e à le vivre ainsi, même si tu as pu te sentir isolé·e. Le chemin vers soi n’est pas toujours clair ni linéaire. Il peut impliquer des allers-retours, des essais, des moments de rejet, de retour, de peur… Ce que tu ressens est valide et mérite d’être accueilli dans un espace sécuritaire.
Je te recommande maintenant de te donner la chance d’explorer doucement. Tu mentionnes être en appartement, ce qui te donne la chance d’expérimenter à ton rythme différents vêtements, différents produits, un changement de voix, etc. Tu peux choisir d’explorer au départ par toi-même, chez toi, puis, une fois que tu seras plus confortable, le cas échéant, tenter de reproduire cela dans ton quotidien. Tu pourrais commencer par aller faire l’épicerie ou prendre une marche avec ton nouveau style et voir comment cela te fait sentir.
Il peut aussi être aidant, si tu le souhaites, d’aller te promener sur Reddit ou sur des blogs 2SLGBTQIA+ afin de lire des témoignages similaires aux tiens et de pouvoir discuter avec une communauté qui vit les mêmes enjeux. Cela te donnerait peut-être la chance de mettre des mots sur ce que tu vis.
Je ne sais pas si, à ce jour, tu es toujours suivi.e par un.e thérapeute, mais je t’encourage fortement à le faire à nouveau si ce n’est plus le cas. Cette personne pourra t’aider à démêler tes envies, à t’écouter davantage et à t’aider à cheminer sans pression vers ce que tu veux pour toi.
Tu es en train de faire un travail immense de lucidité et de courage. Ce n’est pas rien. Tu n’as pas besoin d’avoir toutes les réponses tout de suite. Mais tu mérites d’avoir le droit de les chercher librement, tendrement et à ton rythme.
Bon courage! 💜
Mélo, étudiante au baccalauréat en sexologie et stagiaire pour AlterHéros