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28 mars 2024

Mort et fif

Du 6 au 9 octobre 2004 se tenait à Montréal, le 2e Congrès mondial contre la peine de mort. Cet événement fut marqué par de nombreux débats et tables rondes, concerts, expositions, témoignages de condamnés à mort et de familles de victimes. Notre chroniqueur, Sébastien St-Onge, était présent et nous rapporte ses réfléxions face à cet événement important qui touche de très près des personnes homosexuelles.

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Du 6 au 9 octobre 2004 se tenait à Montréal, le 2e Congrès mondial contre la peine de mort. Cet événement fut marqué par de nombreux débats et tables rondes, concerts, expositions, témoignages de condamnés à mort et de familles de victimes. Un Forum étudiant fut aussi tenu ainsi qu’une marche pacifique dans les rues de Montréal (le 9 octobre). Le 1er Congrès mondial s’est tenu à Strasbourg (France) en juin 2001. À cette occasion, des présidents de Parlement, des juristes, des ONG et des citoyens du monde entier ont demandé « l’arrêt de toute exécution sur le chemin de l’abolition universelle ». L’aboutissement des travaux du Congrès fut la création de la Coalition mondiale contre la peine de mort et à l’instauration, le 10 octobre de chaque année, d’une Journée mondiale contre la peine de mort. Le Congrès de Montréal était organisé par Ensemble contre la peine de mort et Penal Reform International en partenariat entre autres avec les gouvernements du Québec et du Canada, le Barreau du Québec, la Centrale syndicale du Québec, l’Institut d’Études Internationale de l’UQÀM, Amnistie internationale, etc.

Je me suis intéressé à ce Congrès, car je suis membre d’Amnistie internationale depuis un certain temps et le thème dont nous traitons actuellement est l’abolition de la peine de mort chez les mineurs. Je m’y suis intéressé aussi pour une autre raison. Parmi les différentes tables rondes qui se tenaient à la Place-des-Arts, une d’elles a particulièrement attiré mon attention. Le jeudi le 7 octobre, à 13h30, s’est tenue une table ronde intitulée « Peine de mort et identité sexuelle » présidée par M. Pierre Séguin, vice-président de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) et responsable du comité des droits des gais et lesbiennes de la CSQ avec la participation de M. Carol Michaud, membre du réseau LGBT d’Amnistie internationale et M. Pierre Blain de la Fondation Émergence. Les questions évoquées dans la table ronde furent notamment les suivantes: quels sont les pays où l’on a condamné à mort dans le passé et où l’on continue à exécuter des gais et lesbiennes ? Quels sont les pays où l’homosexualité est criminalisée en 2004 ? Comment promouvoir une campagne internationale de lutte contre l’homophobie ? L’accent fut surtout mis sur les réfugiés et les demandeurs d’asile qui encourent la peine de mort ou des poursuites criminelles en raison de leur identité sexuelle.

M. Michaud, qui a débuté la discussion, nous a fait un rappel de la situation mondiale des droits des minorités sexuelles avec plusieurs exemples à l’appui. M. Blain a fait part du désir de la Fondation Émergence de demander l’appui d’individus et d’organisations afin que l’Organisation des Nations Unies proclame une Journée mondiale contre l’homophobie. M. Séguin, qui est aussi intervenu, a voulu assurer que le mouvement syndical québécois soutien constamment les gais et lesbiennes dans leur lutte contre toute forme de discrimination.

M. Blain a beaucoup insisté sur le thème de l’homophobie. En effet, les attitudes homophobes peuvent prendre des formes variées allant de la simple insulte au meurtre. Selon lui, c’est ce sentiment, cet état d’esprit qui peut pousser certains individus ou pouvoirs publics à vouloir punir sévèrement et même de la peine capitale les homosexuels. Un des meilleurs moyens de mesurer le degré d’homophobie d’une société est d’examiner son code pénal et son évolution dans le temps.

Par exemple, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, l’homosexualité était passible de la peine de mort en France et en Angleterre. En France, Montesquieu, Voltaire et Beccaria se sont interrogés sur la sévérité de la peine mais ne semblent pas avoir contesté un caractère anormal à l’homosexualité. Jeremy Bentham, dans des écrits non publiés de son temps, présente une argumentation utilitariste de l’homosexualité et en défend une dépénalisation. En 1791, la France décide de ne plus retenir le « crime de sodomie » dans son code pénal. En Angleterre, la peine de mort pour cette raison n’est plus appliquée à partir de 1836. Pour la remplacer, une loi sera votée en 1861 condamnant l’homosexualité d’une peine de 10 ans de prison. En 1962, l’Illinois devient le premier État américain à décriminaliser la sodomie. En 1967, le Royaume-Uni décriminalise à son tour la sodomie. En 1973, l’Association des Psychiatres Américains cesse de considérer l’homosexualité comme une maladie mentale. En 1968, le Canada décriminalise les relations homosexuelles. En 1995, le Canada reconnaît la discrimination envers les homosexuels comme étant anticonstitutionnel. En 2002, le Québec vote sa loi sur l’union civile. Finalement, en 2004, le Québec reconnaît le mariage gai et le Canada adopte une loi interdisant les propos homophobes et l’incitation à la haine homophobe. Mais malgré toutes ces belles percées, la situation reste relativement fragile autant ici qu’ailleurs dans le monde.

Au moins 70 États ont franchi le cap du XXIe siècle avec des lois interdisant les relations homosexuelles. Dans certains pays, les relations homosexuelles sont passibles de peine de mort (Afghanistan, Arabie Saoudite, Iran notamment).

Selon Amnistie internationale, dans chaque société, le droit pénal définit les bornes des comportements sexuels licites, c’est-à-dire qu’il limite l’expression et la satisfaction du désir sexuel des individus autant que cela est nécessaire pour garantir les droits d’autrui. Ces restrictions varient d’une culture à l’autre et évoluent au fil de l’histoire, à mesure que les interdits archaïques sont levés et que de nouveaux droits sont reconnus. Le terme « sodomie » a souvent été utilisé par les législateurs pour désigner tout ce qui se situe au-delà des limites autorisées. Parmi les nombreuses pratiques qui ont été dénommées ainsi à diverses époques et dans différents pays figuraient les relations sexuelles entre personnes de race différente et tout acte sexuel non destiné à la procréation.

Les lois criminalisant les relations homosexuelles existent, sous des formes différentes, sur tous les continents[1][3]. Dans certains pays, les rapports homosexuels entre adultes consentants sont criminalisés sous l’appellation de « sodomie », « crimes contre nature », « actes pervers ». Ailleurs, diverses expressions de l’identité homosexuelle tombent sous le coup de la loi en raison de chefs d’inculpation vagues: « actes immoraux » ou « scandale public ». En de nombreux endroits du monde, ces lois sont des vestiges de la domination coloniale mais sont défendues, paradoxalement, par des chefs de gouvernements post-coloniaux qui les considèrent comme une protection nécessaire face à l’homosexualité, ce « produit d’importation ».

Ces lois peuvent également encourager les forces de l’ordre à ne pas traiter comme des êtres humains ces détenus qui passent pour des criminels du seul fait de leur identité. Parce qu’elles donnent à la discrimination un caractère institutionnel, elles constituent une incitation officielle à commettre des actes de violence motivés par l’identité sexuelle dans toutes sortes de circonstances: en détention préventive, en prison, dans les rues ou au domicile. En privant de certains de ses droits une partie de la population, elles empêchent les personnes victimes de torture et d’autres mauvais traitements en raison de leur identité sexuelle d’obtenir réparation; elles permettent aux tortionnaires de continuer à agir en toute impunité.

Selon certaines interprétations de la charia, les relations en dehors du mariage, qu’elles soient hétérosexuelles ou homosexuelles, sont passibles de peines pouvant aller jusqu’à 100 coups de fouet pour les célibataires et à la mort par lapidation pour les personnes mariées. En Afghanistan, six hommes au moins auraient été condamnés pour « sodomie » par les talibans, lors de deux procès distincts; ces hommes auraient été ensevelis en public sous un mur abattu sur eux, en 1998 et 1999. En Tchétchénie, le Code pénal islamique prévoit la peine de mort pour les rapports sexuels entre hommes.

Et plus récemment, aux Etats-Unis, Amnistie nous rapport le cas d’Eddie Hartman qui a été exécuté dans l’État de Caroline du Nord le 3 octobre 2003. Il avait été condamné à mort en octobre 1994 pour vol qualifié et meurtre sur la personne de Herman Smith. Eddie Hartman a été arrêté et a spontanément avoué le meurtre. L’accusation a invoqué le fait qu’Eddie Hartman soit homosexuel comme un argument pour que celui-ci soit exécuté.

Lors de la phase de détermination de la peine dans les procès de personnes passibles de la peine capitale qui se déroulent aux États-Unis, l’accusation plaide en faveur de la peine de mort tandis que la défense présente des circonstances atténuantes afin d’obtenir un châtiment moins sévère. Citée comme témoin lors du procès, la mère d’Eddie Hartman a fait état dans sa déposition devant le jury des violences sexuelles qui avaient été infligées à son fils lorsqu’il était enfant par des hommes plus âgés. Lors du contre-interrogatoire, le procureur du comté de Northampton, évoquant les déclarations de la mère d’Eddie Hartman selon lesquelles son frère avait commis de multiples agressions sexuelles sur le garçon, alors âgé de huit ou neuf ans, pendant une période de six mois, a demandé : «Mais votre fils est homosexuel, n’est-ce pas ?», essayant manifestement d’amoindrir l’impact de cette circonstance atténuante.

Interrogé lors de procédures entamées après la condamnation sur sa tactique d’interrogatoire à propos de l’homosexualité d’Eddie Hartman et des agressions sexuelles qu’ils a subies lors de son enfance, le procureur a déclaré : «Il me semble que si quelqu’un est un homosexuel actif, cela peut d’une certaine manière… c’est un peu différent, une personne qui a des relations homosexuelles, là, dans sa vie, et une personne qui dit avoir subi des violences à un moment de sa vie.»

Les Principes directeurs des Nations unies applicables au rôle des magistrats du Parquet prévoient que ceux-ci «exercent leurs fonctions conformément à la loi, en toute équité, de manière cohérente et diligente, respectent et protègent la dignité humaine et défendent les droits de la personne humaine», et qu’ils «font preuve d’impartialité et évitent toute discrimination d’ordre politique, social, religieux, racial, culturel, sexuel ou autre». Le droit de ne pas être victime d’une discrimination fondée sur le sexe – terme qui recouvre notamment l’orientation sexuelle – est reconnu par plusieurs traités internationaux, tel le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), que les États-Unis ont ratifié en 1992.

À ce jour, 112 pays ont aboli la peine de mort légalement ou de fait. En revanche, depuis la reprise des exécutions judiciaires aux États-Unis en 1977, les autorités de ce pays ont ôté la vie à 875 hommes et femmes. La grande majorité de ces exécutions ont eu lieu ces dix dernières années. Cinquante-cinq condamnés à mort ont été tués depuis le début de 2003 aux États-Unis.

Pour en revenir au Congrès de Montréal, je dois dire que j’ai bien aimé assister à la table ronde « Peine de mort et identité sexuelle ». Ce que je déplore, c’est qu’à peine 10 personnes y ont assisté. À qui la faute? Au Congrès qui n’a pas assez publicisé ses tables rondes? Aux participants de la table de ronde en question qui en ont très peu parlé dans leur milieu? Serait-ce à cause d’une indifférence générale? Quoiqu’il en soit, 10 personnes, c’est très peu surtout pour un Congrès mondial. Quand les choses vont bien, on a souvent tendance à prendre les choses pour acquises. Au Québec et au Canada, les gais et lesbiennes ont fait beaucoup de chemin, mais malgré tout, en examinant la situation de nos voisins du sud et des autres pays du globe, notre situation ne semble pas aussi solide qu’on peut le croire. Au Canada, il n’y a plus de peine de mort depuis 1976, mais les crimes haineux envers les gais ont-ils cessés pour autant? La peine de mort étant un meurtre à mes yeux, tuer quelqu’un peu correspondre à une forme de « peine de mort » car les victimes n’ont pas choisi de mourir, elles veulent continuer à vivre avec leurs défauts et leurs qualités.

Samedi le 9 octobre, j’ai participé à la marche contre la peine de mort. Officiellement, je marchais pour mon groupe d’Amnistie internationale mais j’ai aussi marché pour tous ces gais et lesbiennes qui ont du subir des sévices cruels ou des exécutions seulement parce qu’ils ont le courage d’être ce qu’ils sont. La peine de mort est une arme redoutable et dangereuse qu’on peut utiliser à toutes les sauces, comme pour se débarrasser dans certains pays de « parasites sociaux » comme les gais ou lesbiennes. Abolir la peine de mort au niveau mondial ne règlera pas tous les problèmes, mais au moins, les autorités ne se montreront plus complice dans cette persécution arbitraire basée sur le pouvoir du nombre, de la religion ou de l’argent.

Voici quelques sites utiles en lien avec ce sujet :

Sébastien St-Onge
AlterHéros / Jeunesse Lambda

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